Bill Wyman: (Si Si) Je Suis un Rock Star

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Connaissez-vous The End ? Pas le titre œdipien du Lizard King de Venice, on ne vous ferait pas l'injure, mais ce groupe-phare maudit de la british psychedelia, marqué par une poisse tenace... Cornaqué par un Bill Wyman moins heureux en affaires que, selon la légende, en conquêtes féminines, le groupe essuya revers sur revers et périt lamentablement non sans avoir livré, s'accorde-t-on à dire (mais pas nous), une des gemmes pop les plus pures de la fin des sixties, aux côtés de Odessey & Oracle des Zombies et du Forever Changes de Love... Dans l'intervalle, on aura croisé Bill Wyman, of course, mais aussi Watts et puis l'ange blond aux cernes de bistre, Brian Jones himself, dont la tombe résonna d'un improbable single et obtenu la confirmation que les patrons, ça restaient les Glimmer Twins et personne d'autre...

Tout commence en février 1964 avec la rencontre entre les membres de The End - qui se produisent alors sous le nom à peine plus imaginatif de The Innocents - et Bill Wyman lors d'une tournée stonienne... Quand quelques mois plus tard, déjà mû par des velléités d'indépendance, Wyman décide de former le label Freeway Music avec l'excellent ingé-son Glyn Johns - excusez du peu, comme on dit - le tout sous le patronage douteux de Decca, c'est tout naturellement que les deux hommes portent leur dévolu sur les sympathiques The End pour un galop d'essai... Les ennuis commencent à la minute même ou presque : surbooké, Johns se casse et laisse à Wyman la responsabilité d'un groupe pourtant prometteur avec la mission pas si évidente d'en faire des stars...

Premier coup de Wyman : un 45-T insipide, de l'aveu même du bassiste, sort sous le titre "I Can't Get Any Joy" dont la similitude avec un célèbre single stonien semble naturellement fortuite et dont le principal mérite est sans doute de confondre efficacement titre et effet sur l'auditeur... Toujours inspiré - les relations conflictuelles entre la maison de disques et les Stones sont une épopée tragi-comique en soi que scelle avec fracas l'enregistrement de l'infamous "Cocksucker Blues" - Decca sort le single en même temps que le "Get Off Of My Cloud" de qui-vous-savez assurant, fort logiquement, une mort immédiate au titre des jeunes protégés de Wyman. Notre bassiste, à la motivation encore intacte, parvient toutefois peu après à intégrer son groupe à la nouvelle tournée stonienne, et même à le faire passer à la télé à la faveur d'un duo inattendu avec Little Stevie Wonder - mais, monsieur quatre-cordes officiant toujours au sein du "Greatest Rock n' Roll Band In The World", échoue à assurer un suivi conséquent de son groupe qui se fait les ongles en attendant qu'il soit dispo... S'improvisant manager tendance Andrew Loog Oldham, Wyman s'inspire alors des bonnes vieilles recettes sixties alors en vigueur - qui nous ont valu tant de reprises franchouillardes de classiques ricains... jusqu'au "Carte Postale d'Alabama" de Johnny dont on vous laisse deviner l'original - et étudie soigneusement les hits ricains pour donner des directions à ses poulains : « I used to try and advise them on what songs to do. I used to bring back the latest hot single from the States and say 'Do This, it'll be a hit'. [...] The End would say 'We're not doing that crap !' and then a month later someone else would have a fucking number one with it! »

Un détour anecdotique et peu glorieux par l'Espagne dont le groupe tenta de percer l'improbable marché... Les compositions commencèrent à se faire plus résolument psyché mais, aux épaisses fumées ambiantes, les quatre garçons opposèrent plutôt une ambition de vrais songwriters, avec des textes très introspectifs qui déroutèrent rapidement leur maigre public...

Vaille que vaille, la machine poursuit sa course et, en novembre 1967, Decca leur concède un nouveau single, "Shades Of Orange" / "Loving, Sacred Loving" dont la postérité fut aussi étonnante que confuse... Certains bootlegs le publièrent comme un inédit des Stones... et des Beatles, réunis lors d'une session anthologique qui, naturellement, n'eut jamais lieu... D'autres, plus nombreux, tentèrent d'accréditer une bien curieuse théorie : le single aurait été dû à... Brian Jones. Soyons justes, ce cafouillage, certes cyniquement exploités par les bootleggers, prend source dans un écheveau de vraies sessions croisées difficile à débrouiller : à cette même époque, Jones vient de finaliser l'enregistrement de la bande-son d'un film de Volker Schlöndorff, A Degree of Murder, dont "Shades Of Orange" semble effectivement singulièrement très proche... L'explication ? Le titre de The End fut écrit par Wyman et l'organiste Pete Gosling, qui jouait aussi sur la bande-son de Jones (avec Charlie Watts aux tablas, by the way)... Les démentis n'ont pas empêché certains fans de passer le single en boucle sur la tombe de Jones, regrettant la mort prématurée de l'ange blond dont ce titre annonçait selon eux une formidable carrière solo tragiquement avortée...

Pro et efficace, comme à l'accoutumée, Decca sortit le single avec le préfixe technique "2", indicatif d'un groupe européen (de second ordre, donc), remixa le tout pour le marché américain et obtient une nouvelle confirmation de son imposante capacité à faire de tout titre un flop en quelques jours. En juin 1968, malgré leurs déboires, les musiciens mettent la touche finale à leur album Introspection mais là, c'est Wyman qui, en plein enregistrement de Beggars Banquet demande du temps... Le groupe, lui, est au bord de la séparation pendant ce temps-là... et quand le futur chef-d'œuvre inconnu sort enfin, il ne rencontre tout simplement aucun succès...

Cette lamentable affaire passée depuis par (beaucoup de) pertes et (pas de) profits, on s'accorde à reconnaître, Wyman en tête, que le premier facteur d'échec fut le timing inapproprié qui tua dans l'œuf un des plus beaux albums anglais de cette décennie dont le tort fut donc de sortir - mais non d'être enregistré - tardivement : en gestation dès 1967, enregistré dès le 19 mars 1968 et fini trois mois plus tard, Introspection atterrit dans les bacs en... décembre 1969 - faut-il préciser qu'à l'époque la déferlante Zeppelin avait déjà relégué au rang de confiseries pour ados rougissants les ritournelles lysergiques londoniennes ? Dans l'intervalle, Wyman s'est heurté à un mur de silence envoyant des câbles rageurs à Allen Klein, à New York : « The End are fed up with waiting for their album to be released and wtih promises I have given them. In the next two days they are telling Decca that they no longer exist , to get out of their contract. They will sign with RCA immediately. Please advise immediately. » Une bonne demi-douzaine de relances sans effets achevèrent de convaincre le pauvre bassiste que la partie était jouée...

Wyman reconnaît par ailleurs bien volontiers qu'il y a ce qu'il faut bien appeler une malédiction dans le rock - ou à tout le moins chez les Stones - qui veut que chacun, surtout connu, reste à sa place et n'en bouge plus sous peine de sérieuses déconvenues... De Jagger et ses albums solos surfinancés mais au succès (relativement) confidentiel à Watts et son People Band malheureux, des albums solo de Wood et Wyman aux infortunés Pipes of Pan at Jajouka de Jones, les projets péri-stoniens sont, de toute évidence, fatalement guignards... Wyman, laconique comme à l'accoutumée, offrit plus tard un résumé efficace de ses mésaventures : « I wasn't a businessman. I was the bloody bass player »... ce qui ne l'empêcha pas, quelques mois plus tard, de remettre le couvert avec un autre projet, le Peter Gosling Moon's Train... Doit-on vraiment préciser l'accueil qui lui fut réservé ?