Blue Öyster Cult: Dominance And Submission

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Mais dans quelle galère les membres de l'hermétique Blue Öyster Cult sont-ils allés se fourrer, pieds et poings liés ou presque, en avril 1974 ? En fricotant résolument avec un symbolisme nazillon post-moderne de pacotille, les cinq intellos de Long Island - dont deux, rappelons-le, de confession juive - s'attirèrent les foudres et l'antipathie redoublée de tous les journalistes rock ou presque qui ne les avaient jamais précisément porté dans leurs cœurs... Méprisant et buté en retour, le groupe ne fit jamais vraiment d'effort non plus pour s'attirer les grâces d'une presse rock qu'il connaissait sur le bout des doigts... Alors, les membres du "Cult", vrais martyrs seventies ou honteux roublards ? À vous de décider...

Le malentendu fut, dès les débuts du groupe qui professait un hard intello agressif, hautain mais plutôt irrésistible, total et la cordiale mésentente avec le journalisme, même spécifiquement rock, complète... Le nom du groupe - déjà expliqué ici - dont beaucoup ne retinrent que l'inquiétant "Cult" aux résonances malsaines, le umlaut sur le "O" évoquant une germanophilie confusément associée par certains, en un raccourci glaçant, à un militarisme teuton de triste mémoire... les choses commençaient certes mal. Le groupe prêta pourtant, semble-t-il, bien volontiers le flanc à davantage de critiques, son leader Eric Bloom se complaisant sur scène, derrière ses lunettes noires, dans des tenues de cuir explicites et jouant à pointer des lasers sur le public, grâce à un procédé unique à l'époque qui valut au Blue Öyster Cult, trois mois durant, une surveillance du gouvernement américain persuadé que ce gimmick pouvait nuire à la santé oculaire des kids présents dans la salle...

Les paroles quant à elles, qui se ressentaient de l'influence sulfureuse du manager du groupe Sandy Pearlman et du parolier Richard Meltzer, véhiculaient une imagerie un peu chic de violence et de sadisme qui trahissait surtout une fascination assumée pour toutes les formes de fascisme... Et puis, bien sûr, le fameux logo du groupe, emblême abscons dû à l'azimuté Bill Gawlick, copain de fac de Pearlman, admirateur des œuvres de l'architecte du IIIe Reich Albert Speer et responsable des deux premières pochettes du groupe... On y vit une svastika détournée, on avança une explication vaseuse démentie par les intéressés eux-mêmes sur des équivalences mythologiques grecques - le symbole du chaos - ou alchimiques - le symbole d'un "métal lourd" (traduction en anglais facile, non ?)... La pochette, très rare, du single "Hot Rails To Hell" reproduite ci-contre ne fit évidemment rien pour arranger les affaires du groupe ou peut-être si, plus littéralement... Quant au gênant Gawlick lui-même, tout le monde a perdu sa trace depuis plus de trente ans, à commencer par Eric Bloom, lead singer du BOC, qui affirme, sans plaisanter, chercher encore la trace du sbire sur Internet...

Mais c'est avec Secret Treaties, excellent album et peut-être le point d'orgue de la discographie de nos conjurés new-yorkais, que la polémique enfla. La pochette, surtout, qui représentait un Messerschmitt 262, un des tout premiers avions de chasse à moteurs à réaction utilisés à la fin de la Seconde Guerre mondiale par l'armée allemande... Le morceau "ME262" lui-même ensuite, qui prend le point de vue du pilote de l'avion, et qui commence par la fameuse accroche "Goering's on the phone to Freiburg / Say's Willie's done quite a job / Hitler's on the phone from Berlin / Says « I'm gonna make you a star »"... Ces allusions idéologiques à peine voilées finirent par jouer des tours au groupe, comme cette fois où, raconte le batteur Albert Bouchard, un grand gars blond aux yeux bleus vint les saluer en uniforme nazi à la fin d'un concert à Portland, Oregon, à la grande gêne des musiciens... Plus délétère encore, si on peut dire, une organisation radicale, la Jewish Defense League, menaça de saboter les concerts du groupe ; certains disquaires allemands, enfin, refusèrent de vendre Secret Treaties...

Aujourd'hui, tous se défendent d'avoir fait l'apologie d'une manière ou d'une autre de cette époque et en particulier de son idéologie raciste, le bassiste Joe Bouchard en tête : "We were never Nazi sympathizers. That's ridiculous. Several people in the organization were Jewish including our singer. It was Sandy Pearlman's idea to put the Messerschmitt plane on to cover of our third album. It got us into all kinds of hot water. [...] Sandy wrote the lyrics to our song ME262 which was a goofy song about a critical juncture of technology and a historical fact. I thought it was a great artsy song, but I guess some people didn't get it."

Plus expéditif, Eric Bloom a lâché pour la forme un "Well, it was just a plane. The plane didn't belong to any political party. We're all just big tech guys. We're friggin' nuts." qui ne convainc personne, même pas lui... Le gratteux du groupe, Donald "Buck Dharma" Roeser, un des guitaristes les plus sous-estimés du rock au passage, (feint de) s'étonne(r) lui aussi : "A lot of people were really upset about that, and I don't know why. What Secret Treaties deals with is the fact that while World War II was going on, there were actually a lot of back-door deals between the Axis countries and the Allies; commerce did not stop. The album was an allusion to that: the war was not what it seemed. [...] BOC has always had a historical and intellectual bent as far as what we've been doing, but we've never pandered to devil worship or any of that stuff. We deal with themes of good and evil in our tunes, but we don't take a position. The idea that we have an agenda, political or otherwise, was always silly. If we talked about the dark side of humanity, we just laid it out there and said, « Here it is. »"

Bref - le public et la presse ne demandèrent qu'à les croire mais devant ces ressassements insistants de signes équivoques et cette pose de victimes, on se prit vite à suspecter le Cult non seulement de n'avoir absolument aucune sympathie particulière, de près ou de loin, pour cette période nazie mais surtout d'orchestrer cyniquement le tout pour attirer les projecteurs sur le groupe, miné dans ces premières années par un déficit de notoriété... Ce que confirma récemment, comme à son insu, Buck Dharma qui, un peu lassé de cette polémique et à l'abri du besoin depuis de nombreuses années, vendit la mèche : "I never felt the company [Columbia] knew how to sell us; they didn't know what to do with us. I always thought we were sort of an embarrassment to them"... On n'est, comme on le sait, jamais aussi bien servis que par soi-même : brillant mais éhonté et calculateur, Blue Oyster Cult, groupe fondé et piloté par deux critiques de rock aguerris du magazine Crawdaddy (Pearlman et Meltzer), ne fit que suivre à la lettre le vieux précepte journalistique anglo-saxon : bad press is better than no press... Deux ans plus tard, le phénoménal succès de "(Don't Fear) the Reaper" leur permit de se trouver une nouvelle polémique, associée avec bonheur à un franc succès...