Bob Dylan: One Of Us Must Know Sooner Or Later

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Dylan est-il trop sage pour prétendre à intégrer nos mouvementées colonnes ? L'affirmer, ce serait méconnaître furieusement le bonhomme qui fut marié à deux femmes dans le même temps, soûla - et chargea plutôt copieusement - son backin' band avant de lui faire enregistrer "Rainy Day Women #12 and 35", posséda jusqu'à dix-sept propriétés à faire pâlir Michael Jackson, et, sujets du jour, aurait usurpé jusqu'à son premier titre de gloire, pompé à un étudiant et puis, tant qu'on y est, aurait frôlé la mort un certain 29 juillet 1966... Une indispensable mise au point s'impose, it was more than forty years ago...

On commence par l'affaire "Blowin' In The Wind" à plutôt sordide, comme peut (se doit de ?) l'être une rumeur montée de toutes pièces, avec volonté patente de nuire durablement... L'histoire ? Le célèbre titre à qui le barde new-yorkais au larynx palmipède dut le lancement pétaradant de sa prodigieuse carrière ne serait nullement dû à sa propre plume mais, hit fanfaron, aurait été intégralement inspiré de la composition d'un obscur étudiant, pour ce qui constitue une des spoliations les plus scandaleuses du rock - à tout le moins, si on écarte les plagiats éhontés, et avérés, eux, de bluesmen par certain groupe culte mais ceci est une autre histoire...

Pourtant, "Blowin' In The Wind" bénéficiait déjà de sa propre légende, certes passablement bravache et tartarine : Dylan aurait composé le morceau en dix ridicules minutes un après-midi, en collant des lyrics maison sur un vieux chant d'esclave, "No More Auction Block", exhumé d'un disque de la famous famille Carter... Dans la foulée, Bob monta le soir même sur la scène d'un nightclub de Greenwich Village, Gerde's Folk City, spécifia en guise d'introduction qu'il n'écrivait jamais de protest-songs, peina à déchiffrer la feuille sur laquelle il avait scribouillé ses paroles, en inventa au débotté et le reste appartient à l'histoire...

Sauf qu'à tout prendre, c'est plutôt, naturellement, la genèse polémique du titre qui est resté dans les esprits... Comment en est-on arrivé là ? Curieusement, c'est rien moins que Newsweek, hebdomadaire plutôt respectable d'une presse américaine moins encline que sa consœur anglaise aux divagations vénales, qui porta la terrible nouvelle à ses lecteurs le 4 novembre 1963 - mois décidément climatérique pour les Américains promis à une fracassante perte d'insouciance à Dallas dix-huit jours plus tard -- en avançant, sous le couvert assumé d'informations non recoupées, que Lorre Wyatt, étudiant de Millburn (New Jersey), aurait vendu début 1962 sa composition "Blowin' In The Wind" à Dylan dont, dès lors, le succès s'expliquait piteusement par une habile transaction... Quant on sait que le titre ne fut véritablement connu qu'après avoir été repris par le trio Peter, Paul & Mary et, les sommets des charts américains atteints, enfin repris par Dylan lui-même, alors inconnu, en juillet 1963 au festival de Newport Folk Festival, en compagnie de, précisément, Peter, Paul & Mary, il n'est pas interdit de trouver l'affaire un peu cafouilleuse...

Sur cette base journalistique mainstream, la rumeur, conforme à sa nature, pouvait en tout cas enfler à loisir et nous gratifier d'infinies variations, des plus imaginatives aux plus crasseuses et ne s'en priva évidemment pas... Les intéressés eux-mêmes - Dylan bien sûr mais Wyatt aussi - démentent ? Peu importe, beaucoup de proches de l'étudiant, y compris Gabriel Chiodo son prof de musique, jurent avoir entendu le titre bien avant que Dylan ne le chante et notamment à la faveur d'une répétition d'un groupe vocal du lycée de Millburn, les euh Millburnaires, dont, bingo, Wyatt était le leader... D'ailleurs, le titre fut même joué, se rappelèrent Stephen A. Oxman et Richard W. Erdman, deux camarades de Wyatt, à une fête de Thanksgiving, un 6 octobre 1962... Il existerait même un album des Millburnaires, A Time to Sing, rebaptisé ensuite Teenage Hootenanny, qui contient le fameux titre enregistré... Et puis le fait est que les chemins des deux folkeux s'étaient croisés : Dylan avait visité son pote Woody Guthrie convalescent au Greystone Hospital dont Wyatt divertissait les malheureux pensionnaires en grattant quelques accords... En décembre 62 puis à nouveau début 63, le journal du lycée, curieusement introuvable aujourd'hui, consigna même, sans en préciser le fortuné destinataire, la transaction, indiquant que la chanson a été cédée pour 1000 $, immédiatement reversés à la célèbre association CARE...

L'ensemble accusant peut-être un manque de panache, on avança aussi que Dylan n'aurait pas acheté le titre mais, fourbe et retors, aurait laissé traîner ses oreilles dans les couloirs du Greystone Hospital et, captant le fameux titre joué par Wyatt, se serait empressé de le retranscrire et de s'en approprier les droits... Outre le déni catégorique des deux musiciens, une simple vérification de la chronologie de la chose suffit à faire voler en éclat la risible controverse : le titre a - bien sûr - été écrit par Dylan en avril 1962, publié et retranscris d'ailleurs dans le numéro six de la revue Broadside dès le mois suivant, et déposé en bonne et due forme par Bob, certes bien tardivement comme c'était souvent le cas à l'époque, nos gentils rockers n'étant pas encore des businessmen avertis...

Plus de dix ans plus tard, dans une interview donnée en 1974 au magazine New Times, Wyatt se vit contraint d'expliquer à nouveau la méprise : découvrant le titre de Dylan dans Broadside, il l'avait appris et rapidement joué devant un public toujours plus enthousiaste, tant et si bien que, devant un tel succès, il le déclara sien un temps puis, gêné par l'entourloupe, refusa finalement de le jouer au prétexte qu'il l'aurait revendu à "quelqu'un" : "My strictest instructions to everyone were not to mention who wrote it, but [my fellow] Don circumvented that by saying, "Here's a song written by one of the Millburnaires". At the end of the Assembly, people streamed backstage. Somewhere the answer slipped out. I became adamant that we would never sing the song again. My head was swirling. Next Monday my homeroom teacher asked to see me after school for a "just between you and me" chat. She wondered why I didn't want to sing that song anymore. I pulled out the answer that I had been toying with all weekend, and told her that I had sold it. But nothing would abate her curiosity. When she asked," For how much?" I blurted out $1,000. Her surprise led me quickly to add that I had given it away, and Where? became C.A.R.E.. I'd begun to make Pinocchio look like he had a pug nose"

Jamais en retard d'une interprétation, les plus zélé(e)s polémistes tentèrent pour la forme de lancer une rumeur reliftée à la va-vite qui, concédant effectivement à Dylan la composition d'un morceau intitulé "Blowin' In The Wind", posait que le chanteur, à l'écoute de la version de Wyatt, l'aurait trouvée supérieure et réécrite la sienne en pompant celle-ci sans vergogne, mais l'intérêt pour ce qui commençait enfin à apparaître comme chicanes vipérines commençait à s'essouffler...

Tout ça pour quoi, au fait ? Croustillants et mesquins à souhait, les dessous de l'affaire ont, depuis, été mis au jour : on murmure ainsi qu'une journaliste de Newsweek, Andrea Svedburg, auteur de l'article qui mit le feu aux poudres, avait été professionnellement éconduite par Albert Grossman, le manager de Dylan, qui lui refusa à plusieurs reprises une interview de son protégé... Pire, enfin reçue les 23 et 24 octobre 1963, Svedburg se fit malmener par un Dylan arrogant et méprisant... La vengeance, toute professionnelle, ne tarda pas, prit, on l'a vu, la forme d'un glorieux ragôt diffamatoire et dépassa même probablement les attentes de la journaliste...

Quatre ans plus tard, le 29 juillet 1966, un autre imbroglio, autrement historique celui-là... Dylan est alors bel et bien installé comme icône d'une certaine contre-culture proto-hippie, électrifiée à la faveur d'un concert sacrilège qu'on ne vous fera pas l'injure de vous rappeler... Cette fois-ci, c'est le New York Times qui l'annonce : le chanteur s'est planté en moto et, vertèbres cervicales brisées, se voit contraint d'annuler son concert prévu au Yale Bowl... La nouvelle, à vrai dire, n'étonna pas son proche entourage qui assistait depuis plusieurs mois à la lente et irrésistible exténuation de l'idole qui, carburant à la méthamphétamine et à la cocaïne, avait réussi le tour de force de pondre (ses) trois (meilleurs) albums Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited et le double Blonde on Blonde, avait terminé, épuisé, en juin 1966 une houleuse tournée mondiale de neuf mois et s'apprêtait, dès août, à enchaîner 64 dates américaines, avec la bienveillance de son machiavélique manager Grossman... Ajoutons qu'il avait eu le temps d'épouser, dans le plus grand secret Sara Lownds l'année précédente et le décor, lui aussi, est planté...

Que s'est-il donc passé ce fatidique 29 juillet ? Pour ce qu'on en sait, Dylan a rendu visite à son manager Albert Grossman à Bearsville, New York, enfourché sa Triumph 55 pour l'emmener dans un garage proche, Sara le suivant dans leur voiture... A partir de là, rebelote, les versions sont légion, avec des contradictions même chez le principal intéressé qui déclarait en 1967 : "The back wheel locked up, I think. I lost control, swerving from left to right. Next thing I know I was in someplace I nerver heard of - Middletown, I think - with my face cut up, so I got some scars, and my neck busted up pretty good"... Quand le dramaturge Sam Shepard se proposa de faire une pièce en un acte de l'Accident (oui...), Dylan lui donna une autre version : "It was real early in the morning on top of a hill near Woodstock. I can't even remember how it happened. I was blinded by the sun for a second. . . . I just happened to look up right smack into the sun with both eyes and, sure enough, I went blind for a second and I kind of panicked or something. I stomped down on the brake and the rear wheel locked up on me and I went flyin'"... Dylan confia également plus tard à son biographe qu'il avait glissé sur une flaque d'huile...

Certains témoins pas vraiment identifiés laissent entendre que la chose fut moins glorieuse, le chanteur, un peu chargé, ayant simplement perdu l'équilibre, quasiment à l'arrêt, la moto finissant par l'écraser de son poids... C'est aussi la version de Sally Grossman, femme de l'odieux manager, qui, incidemment, apparaît sur la pochette de Bringing It All Back Home, qui raille un Dylan myope et maladroit avec les choses mécaniques... Toujours est-il que, rapidement, on a parlé d'horribles cicatrices, d'hémiplégie et bien sûr de mort, sans que cette dernière piste n'atteigne les proportions du morbide canular mccartneyesque... Dylan aurait échappé de peu à la mort ? Aucune ambulance ne fut appelée et c'est même Sara qui emmena son mari, non pas à l'hôpital, mais à 75 kilomètres de là, chez le docteur Ed Thaler, à Middletown, New York...

Cette explication enfin acceptée, c'est le thème, vraisemblable, d'une réclusion forcée en clinique de réhab' qui fut relayé : soignant son addiction à diverses substances, Dylan aurait été assigné à résidence... Bénin, l'accident n'en reste pas moins réel et c'est aidé d'une minerve, et à coups de traitements ultra-sons que Dylan fut soigné pendant de longues semaines... Reclus, il le restera pendant neuf mois, mais en bonne compagnie et occupé à à enregistrer avec le Band ce qui deviendra les fort mythiques Basement Tapes... Le fin mot de l'histoire, plus intéressant que les gloses qu'elle a suscitées ? C'est Dylan qui lâche le morceau : "I had been in a motorcycle accident and I'd been hurt, but I recovered. Truth was that I wanted to get out of the rat race. I probably would have died if I had kept on going the way I had been...."