Carly Simon: You're So Vain

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Naturellement on se contrefout de Carly Simon, son rock palmolivé et son minois équin ricain... Gosse de riche - papa est dans la grosse édition - versée dans la chansonnette d'ascenseur, elle nous intéresse exceptionnellement aujourd'hui pour son succès, le fameux "You're So Vain" dont le titre, déjà passablement savoureux au vu du train de vie de la belle (?), cache l'une des énigmes les plus savamment entretenues du rock, avec des vrais morceaux de marketing maison dedans... En ligne de mire, un folk-rocker bostonien, un autre, anglais d'origine chypriote, absorbé de longue date dans de plus spirituelles préoccupations, un acteur strasbergien mythique invariablement éclipsé par l'imposant Brando, une icône de la country elle aussi star du grand écran à ses heures, et puis, quand même, l'un des Glimmer Twins... Une belle salade people, on vous met le couvert et on repasse les plats...

L'objet du crime, c'est donc ce titre "You're So Vain" où l'acide Carly nous fait part de considérations vitriolesques sur l'un de ses nombreux ex à qui elle adresse, sur fond de soupe, ce refrain mémorable en guise de solde de tous comptes : "You're so vain, you probably think this song is about you..." Les anglophones apprécieront d'ailleurs la subtilité rhétorique du refrain qui dénonce méchamment mais interdit dans le même temps l'accusé de se reconnaître dans l'accusation sous peine de devenir plus coupable encore... Chapeau bas, sur ce point, en tout cas - bon, la chanson elle-même, qui curieusement se ressent de lourdes influences Bee Gees (première époque, hein), ne vaut pas tripette mais vous vous en doutiez, regardez un peu les photos, good God... La ritournelle californienne se vendit quand même par millions mais seuls les esprits chagrins en concluraient que le "grand public" a définitivement un goût de chiottes...

Ce qui assura une partie du succès, et en tout cas en prolonge la notoriété aujourd'hui encore, de cette savonnette, ce fut le mystère entourant l'identité du coupable, dont on se doutait bien qu'il devait être l'un des fameux people avec qui la dame fricota au début des seventies... Et là, les candidats se bousculaient au portillon... Le chanteur et guitariste James Taylor tout d'abord qui dut avoir quelques doutes en écoutant ce refrain assassin, sorti sur les ondes un mois après son mariage avec l'intéressée... Le chanteur, guitariste et (plutôt formidable) acteur Kris Kristofferson aussi qu'elle fréquenta itou... Et, tant qu'on y est, Cat Stevens - oui - avant sa conversion fameuse...

Mais les plus probables punching-balls étaient logiquement deux des plus gros égos du ciné et du rock, qui certes n'en manquent pas : Warren Beatty pour commencer - Madonna n'avait alors que quinze ans - dont la réputation de tombeur n'était plus à faire et qui, effectivement, si on peut se permettre ce procès d'intention, avait, dit-on, une estime de sa propre personne suffisamment importante pour justifier, a priori, le principe d'une telle charge - en tout cas, ce fut le seul à téléphoner pour féliciter la donzelle de l'avoir pris en modèle et tant pis pour l'avertissement contenu dans le refrain...

Plus intéressant pour nous, la seconde victime potentielle était rien moins que Mick Jagger, qui reste d'ailleurs le grand favori de la course... La démonstration serait particulièrement savoureuse dans la mesure où Jagger participe aux chœurs même du titre - Harry Nilsson, prévu à l'origine, lui laissa la place quand le Toxic Twin esseulé débarqua à l'improviste en studio... L'ironie deviendrait même vertigineuse à y bien réfléchir et le calcul commercial de Jagger un peu plus retors qu'à son habitude...

La mignonne en tout cas comprit bien vite le bénéfice qu'elle pouvait tirer de ce buzz qu'elle entretient aujourd'hui encore, plus de trente-cinq après.... Dans l'intervalle, elle a démenti avec véhémence, et beaucoup d'humour, toutes les hypothèses une à une - Taylor ? "No, it's definitely not about James, although James suspected that it might be about him because he's very vain." ; Beatty ? "It certainly sounds like it was about Warren Beatty. He certainly thought it was about him - he called me and said thanks for the song" - mais s'est contredite à de nombreuses reprises, lâchant récemment, dans une espèce de jeu du pendu rock, que le nom du fantomatique ex-lover comportait un "a", un "e" et un "r"... On vous laisse faire les recoupements pour actualiser la liste... L'hypothèse la plus probable restant d'ailleurs qu'elle ait fait une espèce de composite de ses expériences malheureuses et basta...

En tout cas, en 2003, la tête toujours bien sur les épaules, Carly souffla un grand coup sur les braises de son buzz qui menaçait de s'éteindre en organisant une vente aux enchères caritative... À la clé ? La révélation, enfin, de l'identité de l'imbu malotru... Un ponte de la NBC déboursa ainsi 50 000$ pour que Carly joue chez lui le titre en question et à l'issue de sa prestation lui dévoile, à lui et huit autres personnes invitées tenues au secret, le nom tant attendu... En bref, beaucoup, beaucoup, beaucoup de pub - ce billet est là pour en témoigner et en grossir les rangs - et peu de rock, ce qui n'empêcha pas la rusée Carly de confier ingénument : 'Who cares? I can't believe people care, you know?"... Le business dans le sang, dans la famille, on vous dit...