Deep Purple: Lady Luck

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Nos furieux virtuoses de Deep Purple à nouveau, aujourd'hui, mais cette fois, juré, le ténébreux Ritchie Blackmore n'y est pour rien... D'ailleurs, il avait quitté le groupe depuis belle lurette - et Ian Gillan et Roger Glover itou - quand cette incarnation dite "Mark IV" s'envola pour Jakarta en décembre 1975 pour deux concerts destinés à promouvoir auprès du public indonésien leur dernier opus, le sous-estimé Come Taste The Band... Les deux survivants de la grande époque, Jon Lord et Ian Paice, et leurs nouveaux copains d'engueulades - le regretté Tommy Bolin, le pas encore star David Coverdale et le bassiste Glenn Hughes - plongèrent en quelques heures dans ce qu'il convient d'appeler un véritable cauchemar, ponctué, comme il se doit par une tragédie stupide comme seul le rock sait nous en offrir...

L'arène autour de laquelle le drame prit place : le Senyan Sports Stadium, à Jakarta... C'est là, que les 4 et 5 décembre 1975, le nouveau Deep Purple se produisit devant une foule fiévreuse de 150 000 personnes - oui - sur les deux jours... En petite forme, le groupe ne réussit le premier soir à attirer dans ses rets que 55 000 personnes avec, tout de même, 20 000 resquilleurs dont l'inévitable vandalisme avait, curieusement, laissé la police de marbre... Jon Lord : "They let everybody be. There were machine-gun guards all over the place and they were pushing kids around, but there seemed to be no organized police thing..." Rien de vraiment éloigné du concert seventies-type des dinosaures patentés, Zeppelin, Sab' et consorts, en somme...

Mais dans la course aux douteux records, Deep Purple n'avait pas dit son dernier mot et, le lendemain, ce sont 95 000 personnes qui, davantage excitées encore que la veille, se pressèrent vers le stade, encadrées cette fois-ci de 6 000 (!) policiers armés et casqués, prêts à calmer les ardeurs de ce public chauffé à blanc... Le concert commença fort civilement par un avertissement destiné au seul public européen du concert, l'enjoignant de dégager le centre du stade fissa et de se rassembler sur ses côtés... Le décor planté, la milice maison procéda alors à une expédition punitive aux vertus préventives évidentes en lâchant ses Dobermans et en tabassant à coups de matraques et de galoches le public dont le plaisir à écouter de la musique occidentale le rendait naturellement éminemment suspect... Jon Lord confia plus tard au journaliste Peter Crescenti du magazine Rolling Stone, à qui la présente note doit beaucoup, qu'il avait vu un énorme Doberman tirer sur plusieurs mètres un adolescent dont il tenait dans ses mâchoires le bras ensanglanté... A mi-set, le groupe, écœuré, décida d'annuler le reste du concert...

Croyez-le ou non - enfin vous avez pas vraiment le choix... - la soirée à l'hôtel entre les deux concerts fut pourtant autrement effrayante et tragique... Au retour du premier concert, Patsy Collins, célèbre roadie du groupe et par ailleurs garde du corps de Tommy Bolin, s'engueula avec deux autres roadies et, furieux, décida de monter se calmer dans sa chambre... S'impatientant devant la lenteur des ascenseurs, Collins prit les escaliers de secours mais tomba sur une porte fermée... Avisant une autre porte sans indication, il s'y engouffra et chuta de trois étages dans le conduit d'un ascenseur de service... pour s'écraser sur la tuyauterie brûlante. Il en résulta une explosion et un début d'inondation du couloir par le plafond qui intrigua naturellement les résidents de l'hôtel...

Quant à Collins, miraculé, sa chute amortie par les tuyaux, mais brûlé, hébété et en sang, il parvint à s'extraire du conduit mais, une fois sur le palier, trouva à nouveau une porte fermée... Choqué, il perdit l'équilibre, retomba dans le conduit et s'écrasa trois étages plus bas... Aussi incroyable que cela puisse paraître, le colosse se releva (!) et tituba jusqu'au hall de l'hôtel en balbutiant à l'assistance médusée "hospital..."... Il réussit même à sortir de l'hôtel et à monter dans un minibus garé devant l'entrée avant d'être enfin secouru... Hospitalisé d'urgence, le roadie mourut des suites de ses blessures le lendemain...

Les deux roadies avec qui Collins s'était chamaillé furent un temps suspectés de meurtre par une police indonésienne traditionnellement expéditive qui, pour faire bonne mesure, embarqua également en prison le manager du groupe, Rob Cooksey... Seul le témoignage de deux jeunes femmes ayant assisté à l'accident sortit in extremis les trois hommes de cette plongée cauchemardesque dans les effrayants arcanes de la justice locale... Jon Lord, quant à lui, a gardé, on le comprend, un souvenir horrifié de ces deux jours et ne craint pas d'affirmer que l'on a plus vraisemblablement affaire à un meurtre : "Obviously the guys who were arrested had nothing to do with it, but I don't personally believe that Patsy would step into a lift shaft. You don't open a door and step into the darkness..." On parla aussi d'une sombre engueulade à propos d'argent avec les autorités locales plutôt qu'entre roadies... La propre version de Tommy Bolin, à l'époque, ne fit rien pour éclaircir l'affaire, elle non plus : "He fell down a locked elevator shaft in the hotel after being hit on the head. That's accidental? But Indonesia was weird anyway. There were voodoo tents set up in the crowd against the band. I pinched a nerve in my arm and could hardly play..."...