Elvis Presley: You're A Heartbreaker

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Lançant crânement une promesse éditoriale racoleuse en manière de conclusion d'une note un tantinet morbide, on vous annonçait il y a quelques jours des filles et du rêve... Défi relevé, sinon tout à fait emporté, avec rien moins aujourd'hui que le retour en ces colonnes du King lui-même et de ses adorables et pulpeuses chanteuses de backing-band, donc, mais sans Nipper... L'occasion de revenir sur les dérapages nombreux, et croissants, d'un Elvis rarement avare en la matière, desservi qui plus est par les inévitables fabulations attachées à la traîne des icônes américaines monstrueuses, moribondes ou non d'ailleurs... On parle ici des premières auditions d'Elvis, de ses sorties de route autodestructrices plus tardives dûment compilées, on en profite pour redonner un humble et dérisoire coup de chiffon à son étoile pâlissante et dédouaner un bout de sa légende en dépouillant l'idole de Tupelo d'au moins un de ses forfaits présumés, définitivement fantasmé par une presse en mal récurrent d'hallali, oui, cette affreuse citation apocryphe, et on appelle même Ray Charles à la rescousse...

Allez, on se débarrasse d'emblée de la rumeur, tiens : en 1957 le bruit courait donc que notre Elvis aurait prononcé dans un moment d'égarement un inacceptable et définitif "the only thing a nigger can do for me is buy my records and shine my shoes" que la décence nous interdit de traduire pour les rares rockophiles non anglophones...

Prétendument entendu, selon les versions, lors d'une prestation à jamais effectuée, au show "Person To Person" d'Edward R. Murrow ou à la faveur d'un concert à Boston où le King ne s'était à l'époque jamais rendu, ce douteux amalgame tabloidesque mettait davantage le doigt sur le couac culturel que représentait encore à l'époque la musique du jeune Elvis, Blanc sachant chanter comme un Noir comme le dit son producteur Sam Phillips, dont le succès titillait encore une certaine Amérikkke... Pour ce qui le concerne, le doute n'était pas permis mais, en ces vigoureuses et paranoïaques années mccarthistes, de nombreux musiciens noirs furent tout de même obligés de témoigner en sa faveur pour que l'affaire retombe finalement comme un vieux soufflé...

Nettement plus sympathique, l'histoire d'une des toutes premières auditions du jeune Elvis qui confirma que, de Gide à Decca, les bourdes historiques quand il s'agit de détecter un talent en gestation se bousculent - Proust et les Beatles en l'occurrence ici, respectivement a-t-on envie de préciser, hein... On connaît la genèse de la carrière du King : enchaîne les petits boulots à sa sortie du lycée, enregistre deux titres, "My Happiness" et "That's When Your Heartaches Begin", pour l'anniversaire de sa môman aux futurs Studios Sun de Phillips, trouve l'expérience plutôt plaisante et, vieil ado rural mal dégrossi, ose demander à la réceptionniste, la (depuis) célèbre Marion Keisker, si elle n'aurait pas eu vent, par hasard, d'un groupe à la recherche d'un chanteur débutant mais motivé... Gentiment éconduit, Elvis n'en démord pas ou, à tout le moins, hante les parages des studios pendant quelques mois, en profite pour changer de boulot - promotion, il devient camionneur pour Crown Electric en avril 1954 - et finit par croiser la route d'un vieux pote, un certain Ronnie Smith, avec qui il avait joué plus jeune...

Le gars Ronnie en question avait entre-temps rejoint un autre pote, Eddie Bond, professionnel pour sa part, et le groupe tournait ainsi gentiment dans la région... Le timide Elvis offrit ses services et se vit proposer en retour une audition en bonne et due forme dans un bouge local, le club "Hi Hat" - nerveux, il n'arriva pas à convaincre Bond qui, paternaliste, le recala en ces termes historiques : "Stick to driving a truck because you'll never make it as a singer". Ce conseil avisé prodigué, Elvis retrouva tout de même, quelques mois plus tard, le chemin des studios pour enregistrer le séminal "That's Alright Mama" - the rest is history, as they say.... Épilogue prévisible : Bond n'a eu de cesse, par la suite, de se justifier en avançant notamment la thèse d'une pression du club Hi Hat, etc. L'impressionnant devin poussa même le vice jusqu'à demander à Elvis - par l'intermédiaire de Smith, on a sa fierté quand même -, son succès installé, si, des fois, par hasard, il voudrait pas revenir chanter dans son groupe... On vous donne la réponse du King ?

On termine par plus embarrassant, plus tardif aussi, ceci expliquant probablement cela... On passe en 1975, Norfolk, Virginia avec un Elvis obèse, défiguré, bredouillant, perdu, colosse aux pieds d'argile et au nez fortement enfariné aussi... On le sait, le chanteur s'était fait depuis quelques années une habitude, presque un rituel, de mettre systématiquement en pièces sur scène ses titres, les interrompant de blagues, dans un processus de destructuration autodestructrice navrante et pitoyable...

C'est vraisemblablement animé d'un même tendance suicidaire qu'Elvis commit un soir l'irréparable en se retournant vers ses chanteurs - une formation de cinq chanteurs blancs (J.D. Sumner and the Stamps), une autre de quatre chanteuses gospel noires (The Sweet Inspirations) et la star, la soprano texane Kathy Westmoreland - et en leur reprochant, micros ouverts, de "sentir le poisson-chat"... Bien qu'habitués aux débordements live de l'idole - ah cette célèbre bague de 6 500 dollars jetée à un gars du public ! -, le back-up band n'apprécia pas du tout, on l'imagine, cette remarque aux relents involontairement racistes - un procès ridicule déjà fait, avec le succès que l'on a vu, au King mais en bref, l'affront était indéniable... Estelle Brown, une des chanteuses, hocha la tête de dégoût, s'attirant une nouvelle remarque gainsbarresque d'Elvis qui la menaça d'un coup de pied au cul, micros toujours ouverts donc... Brown quitta la scène, Elvis, momentanément dégrisé, s'excusa mais fit le bravache en disant que son équipe se devait d'être forte etc. - du coup, Sylvia Shemwell, autre chanteuse, et Kathy Westmoreland le plantèrent là et gagnèrent elles aussi les coulisses... Précisons que la dite Westmoreland, droit de cuissage régalien oblige, était tombée quelques années auparavant dans les rets du King mais fricotait depuis avec un autre membre du groupe, ce qui lui valait, sur scène, des remarques acerbes et graveleuse d'un Elvis mauvais... À la décharge (?) de la pauvre idole, il faut aussi rappeler que d'autres stars et pas des moindres versaient dans de proches errements - ainsi, Ray Charles, une fois oubliés les biopics déterministes hollywoodiens, se targuait ainsi de piocher à loisir dans ses Raeletts, humilia un soir sur scène l'une d'elles qui s'était refusée à lui, lui faisant répéter ad libitum une note ratée devant un large public hilare, et, de son propre aveu érotomane impénitent, ne s'interdisait que trois choses : faire passer la musique après quoi que ce soit, toucher aux filles pré-pubères et, touchante attention, castagner passionnellement les Raeletts : "I didn't want everyone in the band looking scratched or bruised with puffy eyes and swollen jaws. I didn't want the organization to look raunchy and tattered"... Mais ceci est une autre histoire (?)...