Gene Vincent: You Better Believe

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Back to the matrix - "retour aux sources", donc, pour les plus anglophobes... Là on a décidé de faire du pointu et de s'attaquer à rien moins qu'à la genèse brumeuse d'un classique pur jus qui fit la gloire du rocker claudiquant Gene Vincent, oui, gagné, c'est ça, l'immense "Be-Bop-A-Lula"... Pas sûr qu'à la sortie le tout soit plus clair mais toutes les versions alternatives sont les bienvenues...

On a déjà rappelé ailleurs comment un terrible accident de moto - sa Triumph s'encastra dans une Chrysler - détermina le jeu de scène unique du jeune chanteur pas encore alcoolique ni dépressif mais déjà abonné aux tragédies de tous crins... Ce décor planté pour les retardataires, "Be-Bop-A-Lula", donc... Titre séminal, culte et hoquetant, pierre de touche du ternaire aux côtés de deux ou trois bricoles comme "That's All Right Mama" du camionneur de Tupelo et "Whole Lotta Shakin' Goin' On" du Killer, joyau figé dans la gangue des fifties : tout concourt, naturellement, à faire de ces 158 secondes une proie idéale pour les fabulateurs sans les gloses apocryphes desquels ce blog serait peu de chose...

Les témoignages contradictoires se bousculent donc sans surprises en l'espèce mais on peut stabiliser les choses autour de quelques informations sinon avérées du moins récurrentes - pour le reste, on lance un appel à témoins, si vous trainiez du côté de Norfolk, Virginie, en juillet 1955... C'est en tout cas là que le jeune Gene, pas encore armé de cuir, tentait de percer comme chanteur de country sous le nom chantant de Gene Craddock and the Virginians... Un petit succès se fit même jour sur les ondes de WCMS, la station de radio locale, qui proposait un tremplin live pour jeunes artistes, le "Country Showtime", qu'animait le désormais célèbre DJ "Sheriff" Tex Davis... Davis eut tôt fait de repérer le talent de Gene et en fit rapidement une espèce de petite star régionale...

L'hospitalisation de Vincent à l'été 1955 menaça, on s'en doute, de mettre un terme aux aspirations du jeune rocker mais celui-ci, comme nombre des patients de l'US Naval Hospital de Portsmouth, employa l'essentiel de son temps à jammer avec ses nouveaux potes de chambrées pour tromper l'ennui d'interminables journées de convalescence... À la faveur d'une de ces improvisations, Vincent et un certain Donald Graves, lui aussi soigné d'une blessure à la jambe, posèrent ainsi les bases de ce qui allait devenir "Be-Bop-A-Lula", si l'on en croit la légende... Mais là, ça devient vite trouble : pour certains, le titre se veut un vague hommage à une héroïne de comics, appelée Little Lulu, le "Be Bop" du titre n'étant là que parce que l'expression faisait particulièrement fureur à l'époque - et était, et ben, en somme, "cool"...

Bref, "Be-Bop-A...-Lulu" ? On y croit à moitié et d'ailleurs, cette explication, qui resurgit régulièrement, fut tout aussi régulièrement battue en brêche par pas mal de monde... Et puis ces paroles immortelles, toutes chargées d'un chaloupement à double-entendre, bluesien en diable : "be-bop-a-lula, she's my baby / be-bop-a-lula, I don't mean maybe / well, she's the one that got that beat / she's the one with the flyin' feet She's the one that gets more more more" - tout ça pour une petite peste, héroïne des 7-12 ans ?

Côté compositeurs, le potage est à peine moins brouillé : Graves se serait chargé des paroles, Vincent de la musique... Une autre version veut que ce soit plutôt au crédit de notre DJ "Sheriff" Tex Davis qu'il faille mettre tout ou partie de la chanson, inspirée par l'écoute en boucle d'un 78-T "You Can Bring Pearl With The Turn-Up Nose, But Don't Bring Lulu" dont on vous laisse traduire le riant titre...

On remue un peu et remontent aussi à la surface de sombres histoires de rachat de droit qui pourraient bien constituer le véritable historique du titre... Malheureusement, là encore, tout le monde y va de sa version garantie authentique of course : Graves serait bien l'auteur des paroles mais aussi de la musique et en aurait cédé les droits à Gene pour la modique somme de 50$... D'autres disent que c'est bien notre DJ fétiche qui, aucunement auteur mais flairant le potentiel de la chose, acheta les droits à Donald, pour 25$ cette fois-ci... D'ailleurs, sur le pressage original du 45T américain, c'est lui qui est crédité et puis, au final, c'est bien lui qui est devenu le manager de Vincent... On termine évidemment avec la chose, telle que la délivra le grand Vincent lors de sa première (?) prestation publique de vraie star nationale, en 1958, Town Hall Party 1958...