Jimi Hendrix: We Gotta Live Together

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Or donc, en mai 1967, le Jimi Hendrix Experience explose les ondes et les charts britanniques avec son Are You Experienced stratosphérique... mais ce n'est que fin août de la même année que son single hallucinogène "Purple Haze" se fait une place dans les hits américains, lançant enfin la carrière du gaucher de Seattle aux States, autant dire dans le monde entier... Oui, mais entre ces deux dates ? Et bien, pas mal de choses : un gros dérapage, un boys band, des féministes d'extrême-droite et puis Mickey Mouse...

À l'été 1967, un Hendrix pas encore révélé, donc, au grand public américain malgré son passage incendiaire au festival de Monterey en juin, se demande ce qu'il pourrait bien faire pour percer chez les Yankees... Enfin, c'est surtout ses managers Chas Chandler et Michael Jeffery qui se posent vraiment la question et pondent une réponse pour le moins inattendue : et si leur poulain assurait la première partie des primates Monkees, un des tout premiers boys bands ricains ? L'association n'est pas des plus heureuses mais, le 31 mars précédent, l'Experience avait bien fait la même chose avec les Walker Brothers, pas franchement rock non plus et personne ne s'était vraiment plaint... Et puis, l'idée, c'est bien de ne pas laisser retomber le soufflé Monterey et de surexposer Hendrix devant des milliers d'Américain(e)s prépubères en croisant les doigts pour que la sauce prenne du côté des cow-boys...

Les Monkees, séduits moins par la virtuosité du gaucher de Seattle que par son jeu de scène spectaculaire et amusés par cette association contre nature, acceptèrent illico. Hendrix, pour sa part, était, disons, moins enthousiaste, si on en juge par ce qu'il confiait au Melody Maker à leur propos, quelques mois avant : "Oh God, I hate them! Dishwater. I really hate somebody like that to make it so big. You can't knock anybody for making it, but people like the Monkees?"... Bref, tout était réuni pour faire de cette tournée pop-hard un événement historique... Le résultat ne se fit pas attendre : au bout de cinq dates, Hendrix disparut du circuit et rentra aussi sec en Angleterre.

L'explication avancée à l'époque - et régulièrement reprise depuis - fut que la tournée avait été annulée à cause de l'intervention des vertueuses "Daughters of the American Revolution"... Choquées par la pornographie du show de Hendrix qui corrompait, à n'en pas douter, activement la jeunesse américaine, les étranges dames de ce groupe d'activistes féministes d'extrême-droite (sic), encore en activité aujourd'hui et dont la devise est "God, Home, and Country", avaient fait pression sur l'organisateur de la tournée, Dick Clark, et réussi à en éjecter Hendrix...

La réalité fut tout autre, on s'en doute... Quand Hendrix rejoignit la tournée des Monkees en cours de route - sa première date, le 8 juillet 1967, était à Jacksonville, en Floride, on vous laisse imaginer l'ambiance disons sudiste - il fut accueilli dès le premier soir, et les quatre suivants, par les cris de fans pré-pubères hystériques réclamant leurs Monkees adorés et se bouchant les oreilles devant le power trio désemparé... À leur décharge, seuls les "musiciens" des Monkees, devenus entre-temps fans de Hendrix avec qui ils jammaient avant les concerts, écoutèrent religieusement chaque soir, backstage, la prestation de l'Experience... Et c'est bien Hendrix qui finit par jeter lui-même l'éponge en se cassant au beau milieu d'un titre au Forest Hills Stadium, à New York...

Et le lobbying des mystérieuses Daughters of the American Revolution ? Une invention de la critique Lillian Roxon - sur, dit-on, une suggestion appuyée de l'entourage des Monkees désireux de rattraper l'affaire - qui fit un papier un peu moqueur sur le départ de Hendrix que l'ensemble de la presse reprit bientôt à son compte sans en relever l'ironie...

Mais c'est encore Jimi lui-même qui expliqua le mieux son départ de cette catastrophique tournée : "...some parents who brought their young kids complained that our act was vulgar! We decided it was just the wrong audience. I think they're replacing me with Mickey Mouse..."

(Bonus : l'explication de Chas Chandler, qu'amuse encore visiblement beaucoup cette farce journalistique...)