John Fogerty: Wrote A Song For Everyone

#creedence-clearwater-revival

Quand, au terme d'une poignée d'années à squatter systématiquement la première place des hits américains avec des titres désarmants d'efficacité, John Fogerty réalise que l'heure de gloire de son grand-œuvre, le groupe Creedence Clearwater Revival, est en passe d'être révolue, il prend aussitôt une série de décisions trèèèès personnelles qui donnent le départ d'une décennie cauchemardesque... Les détails ? Il suffit de lire entre les (très grosses) lignes des paroles de Centerfield, son album de la résurrection, paru en 1985, alors, allons-y...

Revenons déjà un peu en arrière, début 1972 exactement : affecté par la perte de vitesse inattendue de Creedence, Fogerty qui a, disons, ses humeurs, décide de virer son propre frère, Tom, et de laisser la direction artistique du nouvel album du groupe au batteur Doug « Cosmo » Clifford et au bassiste Stu Cook qui tannent du reste le songwriter dans ce sens depuis des années. Le résultat, calamiteux, est encore disponible sous la forme d'un album embarrassant, Mardi Gras, à peine sauvé du désastre total par les compos pourtant exceptionnellement passables de Fogerty. Le trio se sépare fort logiquement peu après et, soucieux d'oublier rapidement ce cadeau d'adieu empoisonné donné aux fans du groupe, et estimant par ailleurs à juste titre qu'il est la véritable âme du groupe, Fogerty enregistre son premier album solo, très réussi celui-là, en 1975.

Commence alors la décennie de toutes les misères pour le bûcheron de Berkeley. Fogerty, qui veut s'affranchir de sa maison de disques pour amorcer sa nouvelle carrière entame une bataille juridique avec Fantasy dont le boss, Saul Zaentz, devient au passage la bête noire du chanteur. La justice donne raison à Zaentz qui reste propriétaire de tous les enregistrements du groupe. Dépouillé des royalties de ses propres titres, confronté à la montée en puissance des déferlantes punk puis new wave, en froid avec le reste de son ancien groupe, Fogerty connaît alors la fameuse "traversée du désert" dont il ne parvient à sortir qu'en 1985 avec l'album Centerfield, donc, salué par la critique et un large public.

Revanchard dans l'âme, Fogerty en profite pour régler ses comptes avec Zaentz avec la finesse d'un redneck des bayous californiens (espèce assez rare, on en convient). Avec "Mr Greed", personnage mystérieux dont il souhaite rien moins que la mort, Fogerty s'en tient au traditionnel coup de semonce à l'endroit du capitalisme véreux, qu'on en juge : "Mr. greed, why you got to own everything that you see? Mr. greed, why you put a chain on everybody livin' free? You're hungerin' for his house, you're hungerin' for his wife, And your appetite will never be denied. You're a devil of consumption; I hope you choke, Mr. Greed"... Bon, bon.

L'attaque a dû sembler par trop imprécise au chanteur puisqu'il remet le couvert quatre titres plus loin avec le sanglant "Zanz Can't Dance", plus explicite, dont le refrain sanglant ne s'embarrasse pas plus de subtilités : "Vanz can't dance, but he'll steal your money, Watch him or he'll rob you blind". Un petit "The little pig knows what to do, he's silent and quick" pour enfoncer le clou et Fogerty clôt son album vengeur avec le sentiment tout américain du devoir accompli.

Ces règlements de compte par vinyle interposé lui valent bientôt un procès en diffamation qu'il perd et l'obligation de renommer le titre en un "Vanz Kant Danz" plus allusif, quoiqu'aux paroles inchangées. Pour sa part, Zaentz se prit au jeu et fit, dans la foulée, un autre procès à Fogerty, l'accusant d'avoir pompé, sur le titre « The Old Man Down the Road » (la première chanson de Centerfield), le riff creedencien de "Run Through the Jungle"... écrit par Fogerty lui-même. Si la ressemblance est, certes, plus que troublante et sonne plus comme une provocation à l'intention de Fantasy, la justice, fort heureusement, fit son boulot et débouta Zaentz au prétexte que l'auto-plagiat était autorisé pour un compositeur...

Épilogue : Tom Fogerty est mort en 1990, emportant avec lui les dernières chances d'une reformation du line-up originel... Pour le trio survivant, aucune réconciliation n'est à l'ordre du jour, Clifford et Cook se produisant depuis quelques années sous le nom de Creedence Revisited, avec à peu près la même crédibilité que, cough, une tournée des Doors sans Morrison, réussissant au passage l'exploit perfide de consacrer un site entier à leur groupe fantoche sans citer une seule fois le nom de John...