Neil Young: Get Back To The Country

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Irascible, cyclothymique et diva sur les bords, le père Young n'a pas démérité côté dérapages mégalo tout au long de ses neigeuses seventies - et même un peu après, d'ailleurs... Quand il ne foutait pas sur la tronche de David Crosby, Graham Nash ou Stephen Stills - avec une préférence pour ce dernier, son ennemi juré - pour d'obscurs désaccords sur l'harmonie d'une note qu'il était le seul à entendre ou ne volait pas un camion, avec la complicité de Jimi Hendrix, pour arriver à l'heure à Woodstock, le schizo auto-destructeur s'amusait entre deux crises d'épilepsie à soutenir l'infâme Ronald Reagan ("some things he did were terrible, some things he did were great...") et, plus généralement, à laisser derrière lui, selon ses propres mots "a lotta destruction... a big wake"... Unanimement conspué par tous ses ex-collègues de travail - à juste titre selon l'intéressé même - notre Canadien préféré reste pourtant curieusement touchant, même au plus fort de ses excès... Le thème du jour, du coup ? La grange du Loner avec, oui, l'épisode de la sono lacustre...

On se rappelle peut-être qu'en 1978 le troubadour épileptique proto-grunge n'avait pas hésité à payer de sa poche le retour de 200 000 copies de son superbe Comes A Time, après avoir découvert que, malgré son accord formel sur le pressage, certaines "hautes fréquences" (sic) se révélaient douloureusement audibles, enfin à tout le moins à ses seules oreilles - son audiophilie est, à sa décharge, aujourd'hui encore, au coeur de ses nombreux combats, notamment anti-spotify... Bilan ? 200 000 dollars de frais de port à la charge du Loner - un dollar par disque - qui planqua illico l'intégralité des copies dans sa grange en prenant soin de tirer un coup de fusil dans chaque caisse de sorte que chaque vinyle soit bel et bien irrécupérable...

Bien avant ça, et décidément attaché aux granges, Young fit moins parano mais plus mégalo avec la célèbre affaire du home-made sound system... Fin 1971, donc, le bûcheron folkeux fit à son presque pote Graham Nash l'insigne honneur de l'inviter en son ranch de Broken Arrow, une espèce de Xanadu californien qui s'étend sur plus de 56 hectares et, sur le modèle du Woody Creek d'Hunter S. Thompson, permet à Young de lâcher impunément la bride à ses démons..

Bonne pâte, Nash demanda à écouter les bandes de Harvest, alors en phase de finalisation... Young fit alors monter son collègue dans une barque, l'emmena au beau milieu du lac de sa propriété et fit un signe vers la berge... qui provoqua une énorme déflagration qui s'entendit à des kilomètres... Atterré, Nash mit quelques secondes à reconnaître les accords de "Out On The Weekend" et comprit que Young avait fait installer chez lui une sono de concert un peu expérimentale, la stéréo étant logiquement assurée par un système de double enceinte, la droite disposée dans sa grange, la gauche dans une chambre de sa maison... Young se mit ensuite à régler la balance en donnant, de sa barque, des indications à son ingénieur du son Elliot Mazer, agitant les bras et gueulant "More barn! More barn!" ou "More house! More house!" pour ajuster au mieux... Assumant jusqu'au bout son acte, il s'en est expliqué le plus sérieusement du monde trente ans plus tard : "I was trying to get the warmth of the sound across, I needed the space to allow the sound waves to breathe. Music needs to be other-worldly". Nash, quant à lui, ne fut pas vraiment convaincu par cette tentative de space-country et a laissé ce seul commentaire sur l'aventure : "Neil scares me a lot. I don't think he's ever been happy with himself"...