Nirvana: All Apologies

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Difficile d'escamoter plus longtemps de notre geste rock n' rollesque la déferlante grunge et son infortuné - et bien involontaire - porte-drapeau dont la brutale disparition jeta les foules dans une stupeur qu'on croyait définitivement réservée à la Sainte Trinité Jim-Janis-Jimi et, en tous cas, à une décennie révolue... Sur l'icône Kurt Cobain elle-même, les anecdotes se bousculent sans effort mais c'est plutôt à une plongée muckrakeuse en diable dans les étranges circonstances qui entourent, pour certain(e)s à tout le moins, le décès du regretté leader de Nirvana que l'on a choisi de se prêter aujourd'hui... Pataugeage dans le Seattle fangeux et morbide de ce printemps 1994, dont bien évidemment la brève furie discographique du groupe sort indemne et même comme régénérée : on met les bottes ?

Du factuel, tout d'abord, au cas où : le 8 avril 1994, Kurt Cobain est retrouvé mort chez lui à Lake Washington (Seattle), dans la remise ("the greenhouse") qui surplombe son garage, un fusil et une note d'adieu à ses côtés. L'autopsie conclura officiellement à un suicide par "self-inflicted shotgun wound to the head" et précisera que le geste du chanteur datait du 5 avril, soit 3 jours avant qu'un certain Gary Smith, électricien de son état, ne découvre le corps...

Dès lors, tout s'emballe à et rapidement : morceau de choix, on l'imagine pour les conspirationnistes de tout poil qui eurent tôt fait d'exploiter le tragique événement avec le soutien implicite d'une presse affamée, de jeunes fans crédules et, pourquoi pas, d'une génération encore traumatisée par le meurtre de son président play-boy un certain 22 novembre 1963, Warren Report stalinien included...

À la tête de ces douteux personnages dont les brisées ne méritent d'être foulées que le temps d'un billet, un vrai private dick angelenos, Tom Grant, ancien détective attaché au Los Angeles County Sheriff's Department dépêché par Courtney Love - femme du cadavre, au cas où... - sur les traces de Cobain quelques jours avant sa mort... Lorsque la terrible nouvelle tomba, Grant, sur sa lancée, ne s'en tint pas là et poursuivit une enquête aux atours un tantinet monomaniaque qui, aujourd'hui encore l'oppose à Courtney qu'il accuse d'avoir fomenté le tout avec l'aide de l'homme à tout faire de leur maison de Seattle, un certain Michael Dewitt... Un meurtre ? A vrai dire, nous, on s'en fout gentiment, mais le mot est lâché et la créativité fantasmatique des fans à son comble...

Dans le détail, Grant - et quelques autres - ont pointé quelques incohérences, souvent battues en brèche par des spécialistes d'ailleurs, mais qui continuent à jeter un certain trouble... On rappela tout d'abord le contexte familial tendu au moment du fait : le 1er avril 1994, Cobain s'était échappé de son centre de désintoxication de Marina Del Rey et avait été officiellement signalé comme disparu... Love engagea Grant, donc, pour le retrouver et, selon certaines versions, pour lui signifier une demande de divorce... Quelques semaines avant, une tentative de suicide à Rome... En bref, plutôt une vie ordinaire de rock-stars déjantées, non ?

Plus concret, un faisceau d'éléments curieux, sinon de preuves, fut bientôt établi : la carte de crédit de Cobain, manquante lors de l'arrivée de la police, a été utilisée après la mort du chanteur mais avant la découverte du corps... Cette même police ne releva d'ailleurs aucune empreinte digitale sur le fusil, ni sur le stylo, ni sur d'autres objets essentiels à l'enquête avant un bon mois... La douille fut retrouvée à gauche du corps et non à droite comme la logique l'aurait voulu... Le visage de Cobain était resté relativement intact... Autre argument euh choc : l'autopsie permit de découvrir que le corps de Cobain contenait trois fois la dose d'héroïne létale pour un junkie (et 75 fois celle d'un cobaye clean, olé !...) quand on l'a retrouvé... On imagine mal dès lors, dirent certains, comment il aurait pu se servir d'un fusil, même si des spécialistes ont cru bon rappeler la grande imprécision de ces doses standard lorsqu'elles sont rapportées aux réactions physiologiques, variables du simple au quintuple, de chacun...

Et puis il y a la célèbre note d'adieu retrouvée près de la dépouille, adressée à "Boddah", personnage fictif inventé par Cobain, et dont la conclusion en forme de baseline romantique à souhait, empruntée au titre de Neil Young "My My, Hey Hey (Out Of The Blue)" fit le tour du monde ("It's better to burn out than to fade away")... La note... ou les notes, au fait ? C'est bien le sujet de toutes les gloses et aussi bien de batailles acharnées de graphologues : avant toute chose, on distingue clairement sur la note officielle deux types d'écriture que l'état de Cobain peut tout à fait expliquer mais pas pour nos amis convaincus d'un complot... On parle aussi d'une seconde note jalousement celée par Love à laquelle elle aurait fait allusion par inadvertance dans le magazine Rolling Stone... L'existence d'un autre bout de papier, là encore en la possession de la même Courtney, griffonné de simples lettres de l'alphabet répétées comme dans un exercice a fait surgir la théorie d'un faux, avec Love dans le rôle de la faussaire naturellement...

Plus déroutantes encore - au point où on en est - les informations glanées par Nick Broomfield, réalisateur d'un documentaire, Kurt & Courtney, qui fit grand bruit et ne contribua pas vraiment à dissiper les remugles de l'affaire... Son enquête mena notamment l'intrépide reporter à rencontrer un certain Eldon "El Duce" Hoke, leader des Mentors un groupe local de Seattle, qui affirma que Love lui avait offert 50 000 $ pour assassiner Cobain (aimable proposition qu'il rejeta) et qu'il connaissait par ailleurs le véritable meurtrier... Piste intéressante qui fit, hmmm, long feu puisque El Duce mourut mystérieusement sous les roues d'un train à Riverside, quelques jours après l'interview...

Bon on arrête là, la tête en tourne, non ? Un fait, pour finir : les cendres de Cobain ont été répandues pour un tiers à Ithaca (New York) dans un monastère bouddhiste tibétain, un autre tiers dans la rivière Wishkah, le reste revenant à Love et sa fille...