Phil Collins: In The Air Tonight

#genesis

Bien avant d'être un chanteur synthétique au larynx irritant et à la calvitie (nécessairement) rigolote, croyez-le ou non jeunes lecteurs, Phil Collins fut rien moins qu'un des tout meilleurs batteurs de prog-rock, voire de jazz-rock, presqu'à l'égal d'un Bill Bruford... Malheureusement, cette période bénie, durant laquelle il chantait par ailleurs beaucoup mieux, sera vicieusement ignorée du présent sujet qui entend courageusement se coltiner la mythologie urbano-rock d'un des titres-fleurons du rock FM, "In The Air Tonight"... Sait-on qu'une chansonnette aussi inoffensive, y compris musicalement, a déchaîné les passions - et continue de le faire aujourd'hui encore - parmi les exégètes de l'œuvre du fainéant Phil ? Noyade, viol, meurtre, suicide, traque, tout y est et on vous le raconte ici, sans même exiger que vous réécoutiez le morceau...

Bon, on part du principe que vous l'avez un peu en tête ce hit méchamment soupesque du début des années 1980 qui doit beaucoup à son lancement synchrone avec celui de MTV - et fut relancé par une insertion dans Miami Vice (série dans laquelle Philou fit une apparition)... Or donc, pour des raisons restées obscures, et au mépris d'une lecture rationnelle des lyrics, surgit bientôt une théorie fumeuse à souhait : le titre serait une remontée d'une expérience particulièrement traumatisante survenue à Collins... Celui-ci, en vacances, allongé sur la plage, aurait aperçu un homme en train de se noyer ; visant un autre homme à proximité, en bateau, Collins fut stupéfait de voir que ce dernier ignorait délibérément les appels au secours de l'infortuné baigneur... Tant et si bien que le pauvre homme se noya tandis que le mystérieux bourreau s'éloignait, impuni, à bord de son bateau, mystérieux lui aussi, tiens... Ulcéré et choqué, Collins écrivit d'un jet ce qui allait devenir "In The Air Tonight" pour conter son traumatisme et se jura de retrouver la trace de ce meurtrier...

C'est là que, au prix d'une ou deux invraisemblances sublimes, la machine mythologique se met furieusement en branle : localisant enfin le coupable, Collins décida de lui faire parvenir deux places pour l'un de ses concerts... Le soir en question, Collins repéra - oui - dans les premiers rangs le méchant marin assassin (dont on suppose qu'il avait tous les traits en mémoire, pour l'avoir vu dans un bateau donc à au moins 50m de distance du rivage) et le fixant - oui, puisqu'on vous le dit - d'un regard accusateur donna une interprétation particulièrement culpabilisante de son nouveau titre, joué bien entendu pour la première fois en public ce soir-là... Spotté par le responsable des lumières - et oui - et ceinturé par Philou lui-même qui avait sauté dans la fosse - si - le vilain marin s'enfuit en hurlant et, pour faire bonne mesure, mit fin à ses jours dans le hall de la salle de concert, sous les applaudissements du public...

Bon. Chacun fera la part des choses, si l'on peut dire... On ajoutera que sur cette base particulièrement riche se greffèrent naturellement des variations savoureuses, presque aussi délectables que l'histoire originelle : à la place du noyé, la femme de Phil ou ses parents ; pas de noyade mais un viol ; Phil regarde se noyer le violeur de sa femme ; Phil, adolescent, est témoin d'un meurtre par noyade et engage un détective privé pour retrouver l'assassin ; Phil, louveteau chez les Boys Scout Of America, est incapable de sauver le gars parce qu'il ne sait pas nager ; Phil va chercher un surveillant de baignade mais trouve sa porte (?) close car celui-ci est en pleine affaire avec une nana - le célèbre break de batterie du titre étant une allusion aux coups tambourinés par Phil à la porte ; Phil assiste au viol d'un ami par un croque-mort (ne nous demandez pas) ; Phil, enfant, et ses amis se moquent d'un handicapé mental qui finit par tuer l'un d'entre eux - Phil le retrouve des années plus tard et, avec l'aide de la police et de son titre justicier, parvient à arrêter l'assassin ; etc.

Notons qu'Eminem, rappeur blanc pas ridicule, s'est lui-même fendu d'un clin d'oeil dans son titre "Stan" :

You know the song by Phil Collins
"In The Air Of The Night"
(sic)
about that guy who coulda saved that other guy from drowning but didn't,
then Phil saw it all, then at a show he found him?

... et que Shaquille O'Neal et Tupac Shakur l'ont par ailleurs samplé, on suppose pour son fameux et tragique break de batterie.

Au risque de briser le mythe, précisons que le titre de Collins a pour sujet son douloureux divorce - avec Andrea Bertorelli qui s'était enfuie avec son décorateur, d'où la présence sur scène, lors d'une fameuse prestation à Top of The Pops, d'un pot de peinture et d'un pinceau - et qu'il prit soin d'expliquer tôt que pour ce tout premier single solo, il s'était donné une règle : "I remember the first principle I had for making my record was that I would get a voice down very quickly so everything else would fit to the voice. The lyrics you hear for 'In the Air Tonight,' I just sang. I opened my mouth and they came out. I never wrote anything down and then afterward, I listened to it and wrote them down"...

Explications apparemment insuffisantes - et fausses d'ailleurs si on en croit le London Times qui assura que le titre fut écrit au dos d'un bout de papier peint arraché - puisque la rumeur prit une telle ampleur qu'il fallut que Collins lui-même, en 1997, remette les pendules à l'heure dans l'émission Storytellers de VH-1 : "(It's) is a song with many faces. And the truth is, is that I don't know what it's about. The way I write lyrics is I open my mouth and I see what comes out. And I was going through an unpleasant divorce and I guess I was very angry, I was very bitter, I was very upset, and I think you can probably tell that from the song. But all these stories, it's like Chinese mysteries. Whenever I come to America, I hear a new bit. There's this person who reckons that I saw someone drowning, and I witnessed the thing, and then I invited the guy to come to the concert, and sat him down in the front row, and sang this song. All I did was write the song really! But anything you hear, let it be said right here, right now, anything you hear about this song is not true..."