Ten Years After: 50 000 Miles Beneath My Brain

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Suite de notre série improvisée sur les bassistes un peu spaced-out du rock, avec aujourd'hui Leo Lyons... Mais si... Un petit effort quand même, les gars, c'est dans le titre... Bassiste de feu Ten Years After première mouture, groupe à la réputation fluctuante calquée sur celle de son prodigieux guitariste Alvin "The Fastest Guitarist In The West" Lee - qui vaut bien mieux que le paléo-shredding auquel il sacrifiait, certes, fréquemment mais qui ne l'empêchait pas de gratifier par ailleurs l'auditeur de superbes envolées bluesy à longueur de concerts -, Lyons reste furieusement ignoré de la geste rock n' rollesque, en ligne ou sur papier... Pourtant, l'homme est un morceau de choix : véloce tortionnaire de Fender Jazz Bass, il se targue de longue date d'être versé dans, pêle-mêle, plouf, plouf : les arts martiaux, la médecine alternative, les nouvelles technologies, le végétarisme et puis le paranormal... On fait les présentations ?

Professionnel dès l'âge de 16 ans, partageant le Star Club avec les Fab Four lors de leur fameuse escapade hambourgeoise, Lyons officie tout d'abord dans les Jaybirds avec Alvin Lee puis fonde avec celui-ci Ten Years After, la paternité de ce curieux nom (évoquant les dix ans qui séparaient la création du groupe de la naissance du rock n' roll) revenant d'ailleurs au bassiste qui n'en tira pas plus de gloire que ça... Une prestation remarquée, singulièrement, sous acide, à Woodstock que ponctue magistralement un inoubliable "Goin' Home" épileptique et speedé révèle le groupe à un public international et c'est parti pour une odyssée seventies vintage balisée jusque dans ses plus infimes détails...

Comme on l'imagine, Ten Years After se cogne dès lors de plein fouet ce succès hystérique plutôt imprévisible qui le contraint - "the song remains the same", as they say - à désigner un Lee, un peu surpris mais vite remis de ses émotions, comme leader... Une poignée d'albums mémorables (Ssssh, Stonedhenge et Cricklewood Green) et, naturellement, le pataquès convenu de conflits d'égo, Lee qui se casse pour une carrière solo au destin commercial rapidement avorté, et en somme un immense gâchis plutôt rondement mené... Du coup, les choses se tassent pour Lyons, notre héros du jour, qui commet quelques bandes originales de films, se fait producteur pour Procol Harum, UFO, Motörhead, Michael Schenker et quelques autres, expériences pas forcément désagréables ni déméritoires si on exclut son orageuse collaboration avec un Leslie West malade, aigri et vicieux pour laquelle le bassiste obtint qu'on retire son nom...

Et puis, suite logique, Lyons coupe naturellement les ponts avec son frère d'armes Alvin, pote d'enfance depuis leur quinze ans, et ne communique plus avec lui que fort parcimonieusement, à coups de petites piques bien senties, et par interviews interposées, comme il se doit... Ainsi en février 75 pour le magazine Rolling Stone, Lyons parvient à rester fair-play mais ne fait pas mystère des origines du déclin du groupe : le proverbial syndrome de la "grosse tête", conséquence rarement escamotée d'un artificiel statut de superstar imposé du jour au lendemain à l'infortuné Alvin par les foules woodstockiennes... Le constat de Lyons est sans appel : "I think it affects Alvin more than us because his face was on Woodstock more than anyone else's. I think this is the cause of all this knocking. We've probably had the worst press than anybody's ever had. To a certain extent, Woodstock set him up as a figure larger than life and people are gonna come along and want to knock him down, see if he really can walk on water..."

Dès lors, Lee, attaché à préserver coûte que coûte une légende qui lui reste étrangère, n'hésitera pas à affirmer, par exemple, qu'il avait décliné une offre de jam de... Jimi Hendrix... Là, Lyons se fâche et se fait dédaigneux : "That's a figment of Alvin's imagination. I knew Jimi because I met him when he first came to London and he asked me if I'd be interested in joining his band. So that sort of blows Alvin story out of the wind. I didn't, of course. Jimi came to see us in New York. You have to remember we had played with him six or seven times prior to that, so we all knew who Jimi was. Jimi was left-handed and he really wanted to get up and jam. So he asked me if he could play bass. So Jimi got up and played bass with the band. I had to sit out. He turned the bass upside down and played it."...

Du coup (oui, encore), bien des années plus tard, alors qu'il sillonne les routes avec un Ten Years After rebrandé et sacrilège - Alvin Lee en est naturellement absent - Lyons n'hésite pas à taper un peu sur son ex-pote, glissant par exemple que si seules les compositions de Lee se retrouvaient sur les disques du groupe, c'est tout bonnement parce que Lee "realized from an early age that there's money in songwriting..." Mais plus qu'à ces peccadilles relationnelles mesquines et amères, lot on l'imagine de tous les groupes séparés en pleine aventure, c'est à tout autre chose que Lyons emploiera l'essentiel de ses années post-gloire...

Le bassiste ne cache en effet plus depuis belle lurette, et le plus sérieusement du monde, son intérêt et ses prédispositions pour tout ce qui touche au paranormal, et ce, à longueur d'interviews : « I've seen 'ghostly phenomena' all my life. As a child it bothered me. I thought I was going insane [...] There are many... I've always had experiences, like seeing ghosts, since I was really, really young... something that made me afraid of the dark until I was about 27 years old. »Délire post-traumatique ou non, l'affaire fit l'objet d'un bouquin - The Reluctant Psychic, affectueusement surnommé My Exorcize Book par son inquiétant auteur... - dont on vous recommande d'autant plus chaudement la lecture qu'on en a lu aucune ligne. Le sujet ? La peur du noir justement, à propos de laquelle Lyons précise : "I learned how to come to terms with it and how to control it. That's what the book is about. It's about somebody that's a psychic that doesn't want to be one, doesn't want their own television show, doesn't want to talk to dead people..." Oui, il faut un peu relire avant de saisir...

Lyons a d'ailleurs remis le couvert en début d'année dans les colonnes du sympatoche fanzine Crossroads - 4 kg d'articles mensuels au bas mot - confirmant, sans plus les expliciter, qu'il avait "vu des choses horribles arriver..." et qu'il avait passé une partie de ses jeunes années au College of Psychic Studies de Londres, 16 Queensberry Place pour ceux qui sont intéressés... Il se défend toutefois, de manière plutôt convaincante d'ailleurs, reconnaissons-le, d'être un illuminé à tendance paco-rabanesque : "Well, you always have to look for a non-paranormal explanation for something and I always exhaust that. You've gotta be open minded. But, skeptical. The only experiences that I've had, I've been able to confirm either with other people or myself. There are many things that I've seen and I've tried to pursuade myself that I hadn't. But, I don't have a vivid imagination. I don't hear a creaking door and right away think it's a ghost. You have to keep a level head about it."

Un peu barré, le Lyons ? Un personnage euh complexe, conclura-t-on dignement, qui échappe aux fans philistins que nous sommes, assurément... Allez, une dernière pour être sûr d'avoir toutes les cartes en main ? Au plus fort du succès de Ten Years After, Lyons n'aimait rien tant qu'à se produire déguisé en... cow-boy. A un journaliste qui lui en faisait la remarque étonnée, il donna, annonçant sans le savoir la puissante rhétorique d'un célèbre karatéka belge, l'imparable précision suivante : "In a way I'd be ashamed of calling myself a cowboy after reading what a so-called civilized nation did to the Indians. So I'm an Indian"...