The Beatles: Magical Mystery Tour

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À la demande générale, retour sur un tournant historique de la geste des scarabées, au plus fort des accointances entre une mouvance flower-power incertaine et une Inde ésotérique fantasmée... Oui, c'est bien ça, le célèbre pélerinage indien des Fab Four, trois mois hallucinés, un gourou contesté, Mia Farrow, sa sœur aussi... "Won't Get Fooled Again", comme dirait l'autre... L'attrait des Fab Four pour la chose spirituelle doit sans doute beaucoup au propre éveil mystique de Harrison, qui, dès 1966, commença un fricotage consciencieux avec l'International Society for Krishna Consciousness sous l'égide de son fondateur A. C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada, avec un zèle déjà relaté ici...

Quand en février 1968, au grand amusement de leur producteur George Martin, le guitariste propose à ses compagnons "spirituellement épuisés" un voyage au pied de l'Himalaya, à Rishikesh précisément, pour suivre les préceptes du fameux gourou indien Maharishi Mahesh Yogi, les Beatles sont bien décidés à se donner corps et âme à la méditation transcendantale et échapper enfin à leurs tourments de stars planétaires... Les rejoignent aussi dans le studieux ashram Patti "Layla" Boyd, Mike Love des Beach Boys, le folkeux Donovan Leitch, Mia Farrow et sa sœur Prudence ainsi qu'une horde de journalistes que la perspective d'un périple cahotant de cinq heures en voiture ne semblent pas effrayer... Période bénie, à tout le moins à ses tout débuts, pour les trois Beatles - Ringo, pas vraiment raccord avec la gastronomie locale plia vite bagage et fut d'ailleurs bientôt suivi par Macca - puisqu'elle inspira bon nombre de titres de ce qui devait compsoer le White Album, dont le magnifique "Dear Prudence", en référence à la jolie sœur de Mia Farrow, prostrée dans son bungalow pendant tout le séjour ("Won't you come out to play ?")... Mais c'est bien autour de Mia Farrow que se cristallisèrent toutes les attentes déçues des Fab Four, par un concours de circonstances dont la véracité est à ce jour loin d'être avérée...

L'actrice fut, on le sait, bien involontairement (?) à l'origine de tous les maux puisqu'elle se plaignit un jour d'avoir subi les avances poussées du Maharishi lui-même... Moment d'égarement du saint homme ? Véritable nature d'un escroc à barbe poivre et sel ? Fabulation sacrilège d'une jeune femme prude et à peine déniaisée, même après quelques années avec Sinatra ? Who cares? Le rock se nourrit de légendes qu'il faut nécessairement imprimer pour lui rendre un plus bel hommage, si on peut se permettre cet écho fordien (et, au cas où, pour les disciples francophones du yogi, dont le culte semble encore vivace, pitié, pas de commentaires ici...). Bref, c'en était fait de l'idylle indo-liverpudlienne : on dit que Lennon découvrant l'infâmie fut dépêché auprès du gourou par un Harrison un peu embarrassé pour lui annoncer leur départ... N'osant pas être explicite, Lennon se perdit dans des circonvolutions pour finalement balancer au Maharishi qui ne comprenait rien son célèbre "Well, If you're so cosmic, you'll know why...", frappé au coin du bon sens liverpudlien...

Quelle que soit son authenticité, l'épisode précipita la salutaire prise de conscience des Beatles et on peut avancer que Mia Farrow - ou la blonde non identifiée qui, selon d'autres versions, faillit être la proie du gourou - ne fut qu'un adjuvant bienvenu, tout le monde étant un peu fatigué du trip et aspirant à rentrer fissa back home, surtout Lennon qui venait de rencontrer Yoko, du reste... La désillusion fut particulièrement vive pour lui dont on dont on se souvient des fracassantes déclarations : "Christianity will go - it will vanish and shrink. I needn't argue with that; I'm right and I will be proved right. We are more popular than Jesus now; I don't know which will go first - rock 'n' roll or Christianity. Jesus was all right but his disciples were thick and ordinary. It's them twisting it that ruins it for me" qui déclenchèrent l'ire des jeunes protestant(e)s américain(e)s vite employé(e)s à piétiner les disques des Beatles devant les caméras de télé compatissantes et rigolardes...

Lennon coupa dès lors toute relation avec le Maharishi, rompit bien évidemment avec ses enseignements et, si les trois autres Beatles se laissèrent aller à de laconiques commentaires (Paul : "We made a mistake. We thought there was more to him than there was. He's human. We thought at first that he wasn't") se vengea - partiellement - en écrivant le vitriolesque "Sexie Sadie" dont seules des raisons juridiques l'empêchèrent de garder l'explicite titre original, "Maharishi Mahesh Yogi". Les paroles, à peine travesties ("Sexy Sadie, what have you done / You made a fool of everyone / However big you think you rare") restent peu équivoques, même si une théorie veut aussi que ce titre n'ait absolument aucun rapport de près ou de loin avec cette scabreuse affaire et ne soit qu'une triste référence, tout aussi cinglante d'ailleurs, à Suan "Sadie Mae Glutz" Atkins, membre de la triste confrérie de Charles Manson... La maquette originelle ayant, paraît-il, révélé un torrent d'insultes ("You little twat / Who the fuck do you think you are / Oh, you cunt"), peu contestent aujourd'hui le sens caché de ce morceau dont le titre fut soufflé par un Harrison peu enclin aux chocs frontaux...

Sur l'affaire elle-même, depuis, tout et son contraire continuent à être dit... - parfois par les intéressé(e)s eux/elles-mêmes, tour à tour accusant puis s'amendant... D'une approche insistante du Maharishi, on est passé sans difficulté à la tentative de viol, racoleuse et tabloidesque... Mia Farrow elle-même, plutôt crédule à l'époque, laisse (volontairement ?) planer un doute dans son autobiographie : le geste du Maharishi effleurant ses cheveux a peut-être été mal interprété par sa conscience immaculée... Les Beatles quant à eux continuèrent un peu la bataille sur le terrain juridique, le gourou ayant eu la curieuse idée de se présenter peu après l'incident comme le conseiller spirituel du groupe au gré de conférences et d'interventions télévisées...

Près de quarante plus tard, la polémique est intacte puisque le célèbre spiritualiste (et médecin et physicien, etc.) Deepak Chopra - figure intellectuelle indienne notoire - lui-même est monté au créneau récemment en prenant la thèse "officielle" à rebours : "Maharishi Mahesh Yogi lost his temper when he learned [The Beatles] were doing drugs". Rendant compte d'une rencontre personnelle avec Mia Farrow dans un aéroport, l'écrivain assure par ailleurs que l'actrice lui aurait confié qu'elle aimait toujours autant Sa Sainteté... Enfin, décidément investi de missions hautement diplomatiques, Chopra aurait aussi été l'instigateur d'une mystérieuse rencontre au sommet à Vlodrop, aux Pays-Bas, entre le Maharishi and George Harrison, en 1991, à l'issue de laquelle le guitariste, fondit en larmes lorsque le gourou lui accorda son pardon en ces termes : "I knew the Beatles were angels on earth... I could never be upset with angels..."... Dernière résurgence de l'affaire : le réalisateur indien Mira Nair s'attelle depuis quelques semaines à un film documentaire sur le trip décidément bien enfumé des Fab Four...