The Police: Don't Stand So Close To Me

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Qui soupçonnerait, derrière l'éblouissant reggae-punk-pop d'un grandiose Andy Summers, d'un flamboyant Copeland et d'un auguste Sting pas encore versé dans le tantrisme toscan, la virulence - et le ridicule - des luttes intestines qui déchirèrent le groupe britannique contraint à une séparation jamais officiellement annoncée mais difficilement contestable ? Des débuts jusqu'à la toute récente reformation, ce sont coups bas, perfidies et phrases assassines qui firent le quotidien mesquin du groupe et, une fois n'est pas coutume, il n"est pas dit que, de Copeland, Summers et Sting, ce soit la diva superstar, si souvent désavouée, qui ait eu la conduite la plus déshonorante...

Fascinante car jamais prise en défaut, cette animosité fractale entre les trois faux punks jazzeux s'invita aux tous débuts du groupe ou presque, puisqu'on note de fortes turbulences en son sein dès 1979... Seuls Copeland et Sting, frères ennemis immédiats, instinctifs, menés par des égos boursouflés, se bouffaient alors le nez, l'aîné Summers jetant un œil distrait et amusé aux chicanes des deux jeunots... Les motifs ? Nécessairement risibles : la virtuosité de Copeland s'accommodait mal du leadership naturellement échu à celui qui composait et chantait l'essentiel des titres du groupe, un certain Gordon Matthew Sumner à nom de scène bourdonnant... Pour sa part, Sting, vite conscient des énormes potentialités d'un destin artistique solo à peine éclos, avait relégué fissa Copeland au rang de marqueur de temps, là-bas, au fond, derrière les fûts... Par probable souci pédagogique, Copeland décida à l'époque de faire inscrire les doux mots "fuck off" et "you cunt" sur ses toms en hommage révérencieux au leader du groupe qui décoda sans peine, semble-t-il, le déférent témoignage... Copeland, décidément terrorisé par l'ambiguïté possible du message, confia ensuite à la presse que la violence de son jeu devait beaucoup à une simple astuce sienne : imaginer, quand il maltraitait les dits toms, qu'il cognait sur la tête de Sting - l'intéressé apprécia...

C'est dans un même esprit collégial qu'en 1983, Summers désormais acquis aux rancœurs domestiques du groupe, les trois prodiges rejoignent l'île antillaise de Montserrat et s'y enferment en studio pour enregistrer ce qui allait donner Synchronicity, non sans s'attribuer chacun un étage du studio, bien à l'écart des deux autres... Pour plus d'efficacité, d'un commun accord, Sting enregistre alors ses parties de basse et de chant de jour et Copeland prend le relais aux baguettes nuitamment... Minés par ce qui frisait la rupture de dialogue, les deux musiciens firent un effort pour renouer dignement celui-ci : quand Sting découvrit un jour que Copeland avait profité d'une de ses absences pour effacer tous les enregistrements de ses parties de basse, il se rua sur les bandes de Copeland et les supprima consciencieusement...

Le trio prit également soin, pour la forme, de donner corps à cette rivalité destructrice en se trouvant une pomme de discorde récurrente : les irrépressibles inclinaisons de Copeland vers des tempi rapides qui faisaient immanquablement enrager Sting - et, pour le coup, jusqu'à Summers vu un soir, dans un fameux documentaire, criant un "Too fast!" furibard à un Copeland qui démarre un show bille en tête à une vitesse supersonique... Pour sa part, l'intéressé a fini par concéder, amusé : "I was always too fast, much too fast. I was the volcano, Andy was the free-floating spirit on the guitar and Sting the bedrock, the man on the bass, my reference point. But he always bitterly complained that I was pushing him along with my fast-moving drumming..."... Le batteur trouvait décidément la blague à son goût puisqu'en 1992, des années après la séparation déchirante du groupe, quand les trois gus consentirent à improviser ensemble, à la faveur du mariage de Sting, devant des invités ravis, Copeland réussit à faire sortir de ses gonds un Sting jusqu'ici détendu en attaquant le premier titre à fond...

Pour autant, Copeland - qu'on ne voudrait pas accabler mais dont les mauvaises langues stingophiles n'aiment rien tant qu'à rappeler qu'enfant, il côtoya Osama Ben Laden dans une école de Beyrouth ("I didn't know him but I would definitely have kicked his butt if I had", précise-t-il aujourd'hui, bravache) et qu'à ses débuts il envoyait au New Musical Express des fausses lettres de fans vantant ses propres mérites - ne voit là que sympatoches querelles entre frères, de la "verbal and recreational violence" occasionnelle, sans conséquences ou presque...

Et quand on lui parle de la côte cassée de Sting durant leur tournée américaine de 1983, juste avant un concert au Shea Stadium de New York où le groupe devait se produire devant 70 000 personnes, il précise : "It was done in jest, even though, yes, my knee was applied to his ribcage. We were like siblings, so of course the arguments were heated. We would have big shouting matches, although we didn't hate each other. [...] That wouldn't happen now. He would kick my ass. He runs 20 miles a day and works out..." Et, tiens, on allait oublier : quelques années plus tard, sans penser à mal naturellement, Copeland a tenté d'obtenir les droits de "Roxanne", "Can't Stand Losing You", "Walking On The Moon" et "Every Breath You Take" pour les offrir remixés aux fans plutôt conquis par l'initiative qui, curieusement, ulcéra leur compositeur, un certain Gordon Matthew Sumner...

Une tension créative, en somme ? C'est le son de cloche de Sting, toujours soucieux de contrôler la légende du trio mais qui a fini par lâcher dans une superbe envolée : "As for Stewart, he's less and less close to me, knows me less and less. He tends to talk a lot about me in interviews, but the things I've read have all been untrue. It's not that he's lying, it's that his impressions of me are distorted by his image of himself. He, too, is a machine, but far more rigid than me, and the gap between us is widening daily. Not in some stupid, petty way, but in a profound, sad, inevitable way. We're growing away from each other, and it impairs what's good between us, which is our music. Our egos get in the way because of the intense differences in the way we behave, and because I'm moving faster than either of my colleagues in every sense. It is Stewart who is most aware of the fact. [...] Movement causes waves. People get stretched, and if you're a rocket, personality-wise, bystanders get burned by your exhaust. But that doesn't mean I have to stop..."

Tout ça nous mène fort logiquement à la reformation récente du groupe précipitée par un cachet dont la décence nous interdit de reproduire la séquence chiffrée en ces austères colonnes... En tout cas, l'hostilité réciproque des deux britanniques et du turbulent américain, marketée ou viscérale, semble intacte, malgré les déclarations apaisées de ce dernier à l'intention d'une presse anglo-saxonne un brin sarcastique... Reconnaissant finalement que Police ne connaît qu'un leader et que, bon d'accord, c'est Sting, Copeland a confié pour solde de tout compte : "We are all alpha males, and in the context of The Police, Sting is our top dog. When I was younger I had a problem with that. Now I'm older and wiser. He owes me not another calorie of effort. The account is clean. Within the band, I'll just play my drums..."...

Rangé des bagnoles, le trio de plus-que-quinqua ? Une hallucinante interview, à lire intégralement sur le ouèb en cherchant un peu, nous montre que les affligeantes rancœurs, même étouffées par les boisseaux de dollars, sont restées intactes au moins jusqu'en 2000... On ne résiste pas à la tentation de vous livrer un croustillant extrait pour en goûter l'esprit bon enfant :

Andy Summers: "We always clearly demarcated the lines between the chorus and the verses. The choruses were played harder. I would sometimes stuff cloth under the strings for the softer parts, and we'd throw in 9ths and 10ths, or..."
Stewart Copeland: "Stop them! They're talking technical musical stuff. It's a classic exclusion technique, just because I'm a drummer."
Sting: "Stewart, those are called "notes"."
Andy Summers: "You want to hear an oxymoron? Musical drummer!"
Stewart Copeland: "Hey Andy. What do you throw at a drowning guitarist? His amp!"
Sting: "What was three legs and a cunt? A drum stool!"

Quant à la tournée de reformation elle-même, déjà démarrée, c'est encore à l'incorrigible Copeland qu'on en doit les déboires renouvelés... De son propre aveu, le concert de Vancouver fut une débâcle totale : "This is unbelievably lame. We are the mighty Police and we are totally at sea"... Il faut dire que le batteur trébucha à son entrée sur scène, frappa le monumental gong au mauvais moment, n'entendit pas Summer démarrer le riff de "Message In a Bottle"... Quant à Sting il passa à côté de l'intro de batterie de Copeland, ce qui fit un beau bordel avec une demi-mesure de décalage... Bon camarade, Copeland ajoute dans ce compte-rendu, à l'objectivité naturellement incontestable puisque publié sur son propre site et communiqué à toute la presse, qu'au moment de conclure le titre "Synchronicity II", Sting tenta une espèce de saut post-punk townshendien au rendu insolite : "The mighty Sting momentarily looks like a petulant pansy instead of the god of rock..."... Le trio se produit en France les 29 et 30 septembre prochains, inratable (en faisant sauter un CODEVI)...