The Pretty Things: Maybe You Tried

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Où en sont les infortunés Pretty Things en 1969 ? Plus question de concurrencer directement les Stones, partis fouler les cimes mythologiques du rock sixties, depuis que l'audacieux SF Sorrow, qui fait figure de premier véritable opéra rock bien avant la fameuse opéra...tion du rusé Townshend, s'est gentiment crashé dans les charts - les premiers départs, un flottement dans la réputation et puis un soupçon : le groupe ne serait-il pas en train de devenir - horreur - culte ? Se retroussant les manches, les gars se décident à aller chercher le gagne-pain eux-mêmes, se promettant de pas être trop regardants en attendant des jours meilleurs : de l'érotique baba, une banane électrique, un playboy tropézien, une Rolls-Royce 1908, un huit-pistes et un album longtemps recherché, tout ça en quelques mois, vroom...

Bon, elles s'en vantent pas, nos petites choses, de leurs sessions alimentaires de cette fin sixties - à tel point que bien souvent, c'est sous un autre nom, comme Electric Banana que nos lads du Kent consignent leurs bandes originales sur disque... Les titres ? Oh, que du bon : The Haunted House of Horror ou What's Good For The Goose pour ne donner que ceux où la morale est sauve... D'autres suivront d'ailleurs, dans une veine de, euh, porn doux, dont la tétratologie de la Banane Electrique - Electric Banana, More Electric Banana, Even More Electric Banana et, contre toute attente, Return of the Electric Banana - qui s'étale sur plus de dix années représente probablement, cinéphiliquement parlant, l'acmé artistique... Mais qu'on ne s'y méprenne pas : si les Things faisaient du sur-place commercialement, leur créativité était intacte et ils avaient des compos à (re)vendre...

À brasser les fonds de tiroir de cette année 69 à la recherche d'un plan culte, on tombe vite sur du autrement solide : l'album The Pretty Things Philippe DeBarge... Ça sonne français ? Gagné, c'est même tropézien... Le DeBarge en question était un riche héritier - papa et maman dans la branche pharmaceutique -, playboy des soirées chico-branchouillo-décadentes de la région, flambeur organisateur de légendaires et destructrices courses de rivas, qui s'ennuyait un peu et, jamais remis de la déception de n'être pas Roger Daltrey, nourrissait le projet de devenir rock star, au moins le temps d'un disque, tendance psyché si possible... Un projet certes égocentrique mais avec cette nuance, qui en atténue ou en accuse la portée comme on voudra, que le disque en question ne serait pas commercialisé mais réservé au strict entourage du jeune Gatsby varois...

Vous la voyez venir ? Sur une impulsion, DeBarge commande un benchmarking de la scène rock londonienne, lit les conclusions, fait contacter les Pretty Things et leur propose un gros - gros - chèque pour devenir son backing-band... Affamés et intrigués, les Jolies Choses n'ont pas vraiment les moyens de faire la fine bouche - et puis le Philou la joue grand prince, invitant le chanteur Phil May et le guitariste-bassiste Wally Waller dans son château sur les hauteurs tropéziennes, les rinçant pendant une petite semaine... Virées nocturnes dans sa fameuse Rolls Royce de 1908, vins fins et, osera-t-on lancer l'hypothèse, nanas faciles : Waller avouera que la décision la plus compliquée qu'il y eut à prendre fut de choisir entre la piscine d'eau de mer ou la piscine d'eau douce... Sans que cela ait probablement un quelconque rapport, les deux Things rentrèrent à Londres méchamment convaincus...

Moqueries mises sous le boisseau, DeBarge ne s'en tint pas qu'à ce show off d'une vulgarité toute parvenue : passionné, il s'investit, littéralement, dans le projet, en louant un studio à la pointe du progrès à Londres - le Nova Studio - qui, fait notable pour l'époque, proposait des huit-pistes... Ça tombait d'autant mieux que les studios EMI - Abbey Road, comme on les appela par la suite - au sein desquels le groupe enregistrait d'habitude avait opposé un niet catégorique à cette expérience hors contrat... À fond dans le truc, DeBarge mit aussi ses tripes dans les enregistrements pour un résultat, linguistiquement et musicalement, plus qu'honorable... Derrière lui, on trouvait quand même May, relégué aux backing vocals, Waller qui jouait d'un peu tout, et puis le guitariste Victor Unit, les batteurs Jon Povey et Twink...

Alors, bon, oui, le contrat stipulait que les Pretty Things devaient se fendre de compos originales pour l'occasion mais, étourdis, ils refourguèrent trois titres - "Alexander", "Eagle's Son" et "It'll Never Be Me" - de la geste Banana à DeBarge... Et puis, la malle aux trésors mise à disposition du groupe par celui-ci leur a probablement donné l'envie de rafraîchir ces titres et c'est tout le tremblement psyché qui s'invite, mellotron, harpsichord, tablas et tout le bazar, à grands renforts d'overdubs épais...

L'album gravé sur acétate, on en entendit logiquement plus parler, même si on rapporte qu'en fait de quart d'heure warholien, DeBarge aurait pas dit non à une vraie carrière de rock star et tenta en vain de faire jouer ses relations pour amadouer les maisons de disques... Les délires fantasmatiques menaçant bientôt de faire de ce disque fantôme, connu des seuls réseaux pirates jusqu'à son exhumation en 1999, une espèce de chef-d'œuvre insurpassable à la gloire d'un rocker frenchy inconnu, Phil May a tenu à apporter quelques bémols, notamment à la prestation de DeBarge dont l'anglais, insuffisant, et le talent, quasi-inexistant, contraignirent le groupe à le cornaquer de près... May chantait ainsi les pistes pour le milliardaire qui, consciencieusement, rentrait à l'hôtel Hilton se coucher pour écouter en boucle sur son Dictaphone la prestation du chanteur et s'imprégner autant de son accent que de son placement... L'album, lui, est de bonne facture mais les meilleures dispositions critiques ne peuvent faire oublier l'absence, cruelle comme il se doit, de May au micro...

En tout cas, Debarge ne s'avouera pas vaincu et poursuivra même sa chimère quelques années plus tard en faisant à nouveau appel au tandem May et Waller mais là, on est dans le crypto-culte... Mystérieux jusqu'au bout, Debarge, durement affecté par la perte de son père, quittera la faune méditerranéenne pour se terrer sur une péniche amarrée entre l'Alma et la Concorde... On lui connaît alors des fréquentations un peu louches ; il meurt au début des années 1990 dans des circonstances dites, quoi d'autre, mystérieuses...