The Smiths: Bigmouth Strikes Again

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"- Do you think that everyone should listen to The Smiths ? - Well, I've not yet discovered a reason why they shouldn't..." Sublime, irritant et instable Morrissey qui, fût un temps probablement révolu, détestait rien moins que l'humanité entière, à commencer par lui-même bien sûr... La cinquantaine (relativement) apaisée, l'ex-autiste, qui a commis ce qui est de loin la meilleure autobio rock, semble aujourd'hui avoir trouvé le chemin d'une relative sérénité qui prit toutefois longtemps les allures d'un voyage au bout de la nuit sans ticket retour, le dandy mancunien courant, de déclarations fracassantes en dérapages à peine contrôlés, à sa perte avec une application qui laissait rêveur... Au programme de cette semaine, donc, une plongée dans ces années noires, indispensables à la juste évaluation d'une œuvre encore un peu trop sous-estimée à notre goût... Et bien sûr, on va parler de Robert, des skin-heads, du reggae et d'instruments de torture birmans...

On connaît la carrière unique des Smiths : drapé dans les oripeaux du poète maudit d'obédience wildesque, Morrissey a conduit, sous l'aile de son alter-ego Johnny Marr, un éblouissant exorcisme à vif qui, s'il le soulagea probablement, ne lui apporta de toute évidence pas le plus petit début de réconciliation avec lui-même... Même au plus fort du succès du groupe, le "Moz", torturé, pudique à l'extrême et dépressif, s'attirait consciencieusement les foudres de la presse britannique... Selon une séquence déjà éprouvée, il cultiva en retour l'antipathie plutôt naturelle de sa sombre personne ce qui redoubla les attaques journalistiques... Osons avancer - sous le haut patronage psychanalytique de Sainte Mireille Dumas - que, s'abritant derrière des personae de plus en plus loufoques et agressives comme autant d'alertes qui n'auraient dû tromper personne, Moz s'offrit tout bonnement en pâture au journalisme, surtout rock, qui se satisfit bien vite de ce personnage de véritable connard dans lequel le chanteur s'était laissé sûrement enfermer...

Non pas que Moz fût un ange - Andy Rourke, fameux bassiste du groupe, se rappelle avec effroi l'autisme buté de leur infortuné leader pendant les sessions d'enregistrement : "Morrissey would be there while the initial recording of the music was going on and if he liked it, he'd sit there nodding and smiling. If he didn't, he'd leave the room and not come back. If he didn't like something that me and Mike were doing, he'd drag Johnny out of the room and then Johnny would have to come in and talk to us. Was lack of communication an issue? Totally. It was a big guessing game: How To Keep Morrissey Happy..." On nous objectera que Rourke, drogué notoire, nourrissait peut-être quelque ressentiment à l'endroit du chanteur qui l'avait remercié en ces termes : "He left a little postcard on the windscreen of my car, like a parking ticket. It said 'Andy - you have left The Smiths. Goodbye and good luck, Morrissey."...

Quant aux "concurrents" plus ou moins revendiqués du groupe, ils ont, eux aussi, bénéficié des piques vipérines de Morrissey, pas homme (laissez-nous finir) à s'embarrasser de scrupules au moment de faire les comptes... Level 42 ? Morrissey n'hésite pas à exhumer une cangue birmane pour préciser son ressenti artistique : "Having never been sufficiently drunk to enjoy a Level 42 record, I prescribe the Burmese neck ring to these chumps for being so icy" Alphaville ? Morrissey, puériculteur improvisé, se fend d'un conseil : "They embody the frustrated egos of the massively untalented. Should have been drowned at birth"

Mais la bête noire de Morrissey, c'est, on le sait, Robert Smith qui, lassé de tant d'attaques perfides, finit par bien lui rendre... Défini par Moz en ces termes fleuris "The Cure, a new dimension to the word 'crap'", le groupe de Robert Smith semble cristalliser de longue date toute la haine, et probablement la paranoïa, du chanteur qui déclara à CNN en 1984 un " I'm surprised they're still around" à peine plus policé. À un facétieux journaliste qui, ajoutant à la liste des ennemis de Morrissey le leader de The Fall Mark E. Smith, lui demandait : "If I put you in a room with Robert Smith, Mark E. Smith and a loaded Smith and Wesson, who would bite the bullet first?", Morrissey ne se fit pas prier pour fournir une réponse argumentée, à la symbolique chargée : "I'd line them up so that one bullet penetrated both simultaneously" (rires). Mark E. Smith despises me and has said hateful things about me, all untrue. Robert Smith is a whingebag. It's rather curious that he began wearing beads at the emergence of The Smiths and has been photographed with flowers. I expect he's quite supportive of what we do, but I've never liked The Cure... not even "The Caterpillar"".

Étendant sa générosité jusqu'à la politique, Morrissey se montra exceptionnellement touché après l'attentat de l'hôtel de The Brighton, le 12 octobre 1984 (dû à l'IRA et intervenant en pleine conférence du Parti conservateur, il visait notamment Margaret Thatcher - les deux bombes tuèrent cinq personnes) : "The sorrow of the Brighton bombing is that Thatcher escaped unscathed. The sorrow is that she's still alive. But I feel relatively happy about it. I think that for once the IRA were accurate in selecting their targets"...

Mais la grosse casserole, autrement gênante, que traîne notre poète briton c'est son racisme tour à tour supposé, révélé, nié et reconnu... Procès en sorcellerie ? Flagellation publique d'un Morrissey dédaigneux et autodestructeur qui affectionne de longue date les cilices de toute nature ? On vous laisse juges... En tout cas, c'est d'abord avec la musique noire que Morrissey reconnaît avoir une incompatibilité frontale : "Reggae, for example, is to me the most racist music in the entire world. It's an absolute total glorification of black supremacy... There is a line when defense of one's race becomes an attack on another race and, because of black history and oppression, we realise quite clearly that there has to be a very strong defense. But I think it becomes very extreme sometimes". Et quand il précise, on n'est pas sûr d'y gagner... "But, ultimately, I don't have very cast iron opinions on black music other than black modern music which I detest. I detest Stevie Wonder. I think Diana Ross is awful. I hate all those records in the Top 40 - Janet Jackson, Whitney Houston. I think they're vile in the extreme. In essence this music doesn't say anything whatsoever"...

Plus embarrassant, Morrissey s'est aussi spécialisé, dans sa carrière solo, dans des titres et des paroles ouvertement destinées à choquer le bourgeois et qui lui valurent, à juste titre, des retours de bâton de la presse... Son titre "Panic", accueilli un peu vite comme un hymne contre la musique black grâce aux douteux efforts de Frank Owen, un journaliste de Melody Maker qui poussa Morrissey dans ses retranchements tout au long d'une interview délétère, fut ainsi l'objet d'une vive controverse... Bien que le Moz n'y fit aucun commentaire raciste explicite, sa sortie, relative, sur une conspiration "Top Of The Pops", émission acquise selon Morrissey aux groupes noirs au détriment des formations de Blancs fut exploitée tant et si bien que les Smiths, solidaires, menacèrent Melody Maker d'une action en justice à et Owen d'un tabassage en règle...

Le premier album solo du chanteur, au titre apaisé de Viva Hate contenait un titre fielleux "Bengali In Platforms" qui se voulait une charge contre les acculturations forcées d'immigrés en Grande-Bretagne - les paroles gênent : "He only wants to impress you / Bengali in platforms / He only wants to embrace your culture / And to be your friend forever/ ... Oh shelve your Western plans / ... life is hard enough when you belong here." D'autres titres sont aussi en lice ("Asian Rut", "The National Front Disco") mais n'accablons pas davantage le bonhomme... Morrissey, lui, se contente de préciser : "The context of the song is often overlooked. People look at the title and shudder and say, Whatever is in that song shouldn't exist because the subject, to millions of people, is so awful." ... mais à la question "Do you think people are innately racist? », sa réponse est sans ambages : "Yes. I don't want to sound horrible or pessimistic but I don't really think, for instance, black people and white people will ever really get on or like each other. I don't really think they ever will. The French will never like the English. The English will never like the French. That tunnel will collapse."

On parle aussi d'une véritable fascination de Morrissey pour les skin-heads en qui il voit moins des fachos coincés dans une interminable adolescence que l'expression du génie, forcément violent, de la classe ouvrière britannique... Dans un épisode fameux, Morrissey écrivit à un photographe du New Musical Express, Derek Ridgers, en lui demandant un tirage de photos de skins prises dans les seventies... Morrissey ne fournit jamais l'explication promise à Ridgers, se contentant de dire que les photos seraient utilisées sur des T-Shirts en France...

Bref, tourmenté, à coup sûr, le génie de la pop British eighties... Une part de la réponse est peut-être à chercher dans cet ultime extrait : "I can't be interviewed and talk in light, wispy terms. In throwaway interviews where people ask me basic things, I feel an absolute sense of worthlessness. You can do a hundred interviews and explain absolutely nothing about yourself but I tend to get asked very serious questions and to give very serious replies. When I talk about my childhood, it always comes across as being severely humorous or so profoundly black that's it's embarrassing drivel but it always has a strong effect on people. Some unwritten law states that you're not supposed to admit to an unhappy childhood. You pretend you had a jolly good time. I never did. I'm not begging for sympathy, but I was struggling for the most basic friendships. I felt totally ugly..."