Goats Head Soup Revisited

#the-rolling-stones

Sortie mondiale, ce jour, d'une énième réédition d'un des albums seventies les plus décriés dans le canon stonien. Comme il se doit, les critiques assassines de l'époque ont fait place, après un purgatoire de quelques décennies, à une réhabilitation en bonne et due forme et, hystérie marketing aidant, on crie désormais au (presque) chef-d'œuvre.

Il n'en est évidemment rien mais l'album a d'excellents moments, quelques titres entre deux eaux et au moins un dérapage - on vous laisse le soin de mettre ceux-ci et ceux-là dans les cases qui vont bien. Magie stonienne tout autant que plaisir coupable, le LP n'en reste pas moins attachant et s'écoute avec un plaisir non boudé et même, pour certains titres, avec jubilation.

Sans surprise, peu se sont emparés de ses titres pour en livrer leur reprise - on fera sans.

1/ "Dancing with Mr. D" (4:53)

Thématique luciférienne rebattue, à moins qu'il soit question de Death, mais un bon funk rock, souplement riffé, avec une basse bien ronde, audible, non bizutagée - en d'autres termes pas due à Wyman mais, ici, à Taylor - avec une slide inspirée du petit prodige mayallien. Des chœurs stoned vintage, Hopkins et Preston qui tentent de se faire entendre, Jagger qui sort tout l'arsenal et, à la force du poignet, un grand titre, tout en métier.

Revisited: on reste à la maison avec Bernard Fowler, plus de trente ans au compteur chez les Stones.

2/ "100 Years Ago" (3:59)

Dès l'intro, une petite splendeur, mise au placard pendant deux ans puis exhumée et réinvestie en soul-funk : Preston au clavinet, Taylor qui enfile des soli terrassants, inégalés, un killer-break funky inattendu avec Charlie qui se réveille et c'est Taylor, 22 ans, qui festonne le tout, loin, très loin d'Eric, Peter ou Michael. Mentions répétées du prénom "Mary", à compléter de "Jane", pour ambiance Kingston garantie.

Revisited: Inyang Bassey et Binky Griptite ont tout compris.

3/ "Coming Down Again" (5:54)

Intro vintage, printanière, fleurie, presque pastorale de Hopkins, Keith, en lassitude junkie claptonienne cuvée 461 Ocean Boulevard, au chant, à la basse (ou Taylor, on se bat encore pour savoir) et à la wah-wah économe, avec de la Leslie par-dessus, parfait contrepoint du piano, Jagger un peu présent, sans interventionnisme, les horns de Bobby Keys et Jim Horn, Keith, défoncé, pense à Anita en mode country-flavored.

Revisited: et pourquoi pas un inconnu, vu que les reprises se bousculent pas au portillon ?

4/ "Doo Doo Doo Doo Doo (Heartbreaker)" (3:26)

Funk wah wah à gros grumeaux servie à larges cuillerées Grand Funk Railroad, Preston en caution funky, les backing vocals irrésistibles des Glimmer Twins en écho à "Sympathy", l'Amérique des OD et des shoots policiers dans le dos, validé par Rick James, le .44 de Dirty Harry, le proto-punk c'est aussi de sortir ça en single aux States, Charlie nous régale, Taylor au sommet, sans qu'on ait souvenir qu'il en soit jamais descendu.

Revisited: manquaient plus que les Allman Bros au complet : les Soul Rebels de New Orleans et Gov't Mule, plus de monde, moins de puissance ?

5/ "Angie" (4:33)

La tuerie acoustique de Keith, un petit choc pour les fans à l'époque, Jagger évite les maniérismes et n'a jamais aussi bien chanté, Angela Bowie en vrai-fausse dédicace, mille fois confirmée, mille fois niée, l'émotion chez les Stones c'est plutôt rare, le ghost track audible en prêtant l'oreille, Nicky reste dans les clous, Charlie en frissonne des charleys. Clip (sic) d'époque savoureux.

Revisited: on les attendait pas là, les Gallois. N'est évidemment pas Jagger qui veut (même Mick n'y arrive pas tout le temps).

6/ "Silver Train" (4:27)

Face B d'"Angie" et du LP, la claque blues pour se remettre dans les tracks, écrite pour Johnny Winter qui l'enregistre avant les auteurs, un "Stop Breaking Down" bis avec harmonica gueulard, basse bavarde (Bill exclu de la fête, bien sûr), Taylor oppose à la vitesse virtuose de l'albinos des interventions d'une subtilité époustouflante. Hopkins part s'en griller une et laisse la place à Ian Stewart, sage décision.

Revisited: une évidence, la version originale de Winter qui déboule comme un train fantôme, Derringer en renfort, influence stonienne des chœurs et Mark Klingman qui joue à Hopkins.

7/ "Hide Your Love" (4:12)

Le titre mal aimé, jamais repris sauf erreur, et jamais joué en live par les intéressés : une jam filler autour d'un riff pourri, Jagger des patates plein la bouche, 4 minutes de calage. Chantage affectif stonien : soli de Taylor exceptionnels.

Revisited: tellement transparent que personne ne s'y est essayé (même en MJC, nous assure-t-on). Du coup, l'original.

8/ "Winter" (5:30)

Une petite perle sous-estimée, démarquée de "Moonlight Mile" avec les strings de Nicky Harrison gentiment pompées sur celles de Paul Buckmaster (qui lui-même faisait rien qu'à s'auto-plagier), l'esprit, quel qu'il soit, le plus mélancolique et réconfortant en tous cas, de l'hiver capté par les Stones en plein cagnard jamaïcain. Taylor, non crédité, a beaucoup donné et l'a rappelé depuis en se réappropriant un titre qu'il infiltre d'interventions splendides.

Revisited: Taylor avec Carla Olson. Une féérie.

9/ "Can You Hear the Music" (5:31)

Un beau bordel psyché, qui aurait trouvé plus logiquement sa place sur Their Satanic Majesties Request, avec pourtant de bonnes idées - le pont ringardissime "Love is a mystery..." fortement rédhibitoire toutefois.

Revisited: Rebelote. Personne ne veut y toucher. Version originale, donc.

10/ "Star Star" (4:25)

Chuck en totem bien sûr, mais en version proto-punky : ça parle de fruit et pussy, de Steve Mc Queen oralement gâté aussi qui adouba la référence, le refrain ne correspond pas tout à fait au titre censuré par un Ahmet Ertegun furibard, Mick un peu en retrait, Bill est enfin là mais se pointe qu'au deuxième couplet, Keith qui fait le punky show ici.

Revisited: Joan Jett à Houston en 1983 tente de récupérer la charge rebelle des Stones. Dix ans après, oui.