The Rolling Stones & Friends: Sympathy For The Devil

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Mon Dieu, donnez-nous la force : maintenu à l'écart de ces colonnes depuis plus de deux ans, Satan lui-même y monte enfin en chaire et mêle sa voix - fictive, hein, les potos - au chapitre rock n' rollesque... Le Malin et le rock ? Des liaisons dangereuses originelles ou presque, dont les outrances marketées à la Marilyn Manson font trop souvent oublier que toute l'affaire tire gentiment sa source d'un racisme latent, quand il n'est pas tout simplement affirmé... Au menu du jour, un tour d'horizon des billevesées souvent comiques, parfois tragiques, toujours navrantes qu'un satanisme approximatif et improvisé, mêlant crédulité, manipulation et folie, a apporté au rock qui s'en serait bien passé musicalement mais y a gagné en épaisseur mythologique...

Le rock est la musique du diable, c'est entendu. Pas inutile de rappeler pourtant que ces sornettes, véhiculées à ses origines par de bien inquiétants pourfendeurs du vice qu'on imagine sans peine coiffés de cagoules blanches, prennent racine dans l'origine ethnique même de notre bon vieux rock, bâtard de la country, un peu, et du blues, beaucoup... Musique afro-américaine, comme nul n'en ignore, le rock, ses rythmes binaires aux résonances tribales et ses concerts hystériques aux allures de rites occultes vaudou offerts à une jeunesse ricaine pas encore émancipée, prêtaient trop facilement le flanc aux délires rageurs et racistes d'une société protestante où l'expression corporelle n'est pas précisément portée aux, disons, nues... Bref, la messe est dite : le rock est une musique de Noirs, dont certains notoirement vendus au Diable, donc sulfureuse et séditieuse au possible et qu'on ne nous parle pas de sophisme délétère...

Le Diable ? Un peu comme Dieu : quand on manque de preuves, pour faire plus rapide, autant les fabriquer... À la rescousse de nos exégètes tordus, les progrès techniques du rock et notamment les célèbres bandes d'enregistrement inversées... Popularisée par les Fab Four, avec "Rain" - dont Lennon voulait qu'il soit intégralement composé à l'envers - et "Tomorrow Never Knows" sur Revolver, la technique, aussitôt née ou presque, donna le coup de départ d'une quête sans fin de messages subliminaux enfouis dans des mix manipulateurs... Et les disques de nos rockers d'être passés à l'envers - ou au ralenti - pour y dénicher des messages évidemment sataniques...

On raconte ainsi que, lorsque la célèbre fausse mort de McCartney fit pendant quelques semaines son boucan le landerneau rock, Tom, un étudiant de l'Eastern Michigan University appela le DJ de WKNR Russel Gibb et, lui demandant des précisions sur les rumeurs du décès du gentil Beatle, lui donna à son tour une indication : en passant le titre "Revolution 9" à l'envers (et en se forçant un brin), on identifierait une litanie tétanisante "Turn me on, dead man... Turn me on, dead man... Turn me on, dead man..."... Du coup, on trouva aussi des indices dans le "I'm So Tired" des mêmes Scarabées (« Paul is a dead man, miss him, miss him, miss him »)...

Dès lors, questions messages subliminaux - bandes inversées, voix trafiquées, en bref toute bouillie sonore polysémique - les effrayants garants de vertu s'en donnèrent à cœur joie, relayés par ados torturés et détraqués gloseurs, abîmés dans une espèce de pari pascalien inversé... Frank Zappa lui-même, déjouant la censure, cacha dans le mix de son "Hot Poop" sur We're only in it for the Money le terrible message suivant : "Better look around before you say you don't care / Shut your fucking mouth 'bout the length of my hair / How would you survive / If you were alive, shitty little person?"...

Bien sûr (?), ces messages ne sont que fumeuses blagues, moitié auto-conviction, moitié hystérie collective, avec des gros grumeaux conspirationnistes dedans, mais on commençait quand même à tracer les contours d'une véritable démonologie du rock et lorsque, quelques semaines plus tard, la Manson Family massacra Sharon Tate et ses ami(e)s puis confia avoir écouté en boucle "Helter Skelter", toujours des Beatles, pour se motiver, l'affaire sonna comme un signal de ralliement pour tous les psychos aux prises avec leurs dissonances cognitives maison et fit passer les potacheries méphistophéliques en version premium...

Avec Led Zeppelin, conduit par un Jimmy Page adepte du mage en carton Aleister Crowley - dont il reproduit la devise "Do What Thou Wilt" / "So Mote Be It" sur les premiers pressages de Led Zeppelin III et dont il rachètera le manoir Boleskine sur les bords du Loch Ness en 1971 - et compositeur de la bande originale du Lucifer Rising de Kenneth Anger, nos doux cinglés trouveront un superbe os à ronger... Surtout quand paraîtra le totémique "Stairway To Heaven" dont l'ésotérisme ambitieux et majestueux, non sans ironie ouvertement déclaré, se prêtait à merveille à la surinterprétation exaltée... On y débusqua ainsi, fait extraordinaire, jusqu'à sept messages subliminaux : "cause I live with Satan" (inversion du "Your stairway lies on the whispering wind"), "The Lord turns me off" ("The piper's calling you"), "There's no escaping it" ("And it makes me wonder"), "Here's to my sweet Satan"("There's still time to change the road you're on"), "There is power in Satan" ("Yes there are two paths"), "he will give you, give you 666" ("It's just a sprinkling for the May Queen"), "I gotta live for Satan" ("There's a feeling I get")... la preuve est faite, non ? Évidemment des esprits chagrins - pire : scientifiques - ont commencé à arguer qu'à bien écouter, on pourrait tout aussi bien y entendre la recette du jarret de veau aux lentilles ou l'hymne national sibérien, très rare du reste...

C'est d'ailleurs grosso modo la conclusion à laquelle sont arrivés notamment le J. Geils Band dont le titre "No Anchovies, Please", sur l'album Love Stinks, comporte un passage dans ce qui paraît relever d'une langue autre mais qui après écoute attentive est bien du pur anglais délivrant un pur message luciférien : "It doesn't take a genius to tell the difference between chicken shit and chicken salad"... Ça n'a pas empêché la croisade, menée par des individus douteux comme le trop fameux père Régimbald, dangereux illuminé maître es-conneries qui publia une inquiétante bible de poche pour gogos, ou les affidés du Parents Music Resource Center (PMRC), de poursuivre allègrement... De "Black Dog" de Led Zeppelin au "Another One Bites The Dust" ("It's fun to smoke marijuana" à l'envers, évidemment) de Queen, du "Empty Spaces" de Pink Floyd à l'"Hotel California" des Eagles bien sûr, tout fut prétexte à débusquer le Fourchu dans ces messages souterrains... Pour faire bonne mesure, on y ajouta le "Dirty Deeds Done Dirt Cheap" et le "Back in Black" d'AC/DC, le "Locomotive Breath" de Jethro Tull, le "Tops" des Rolling Stones, et puis aussi des titres de Styx, Electric Light Orchestra (oui), Jefferson Starship, Rush, et tellement d'autres - même Britney Spears - qu'on arrête là et on vous renvoie vers de passionnants sites complémentaires aisément googlisables... Peu, en revanche, pour noter que le rock puisa aussi, de Hendrix à King Crimson, dans le Diabolus in Musica, ce sinistre intervalle de note mis à l'index par l'Église en des périodes plus anciennes peu éclairées (qu'on retrouve aussi dans le générique des Simpsons, au demeurant)...

Ce contexte s'est aussi vite enrichi, à la satisfaction probable de nos croisés, du satanisme résolument de pacotille et ouvertement commercial des mouvements hard gothique (Black Sabbath), hard-glam (Alice Cooper, Kiss) et "métal" naissants... Un Jagger terriblement intelligent l'avait d'ailleurs compris bien avant avec son "Sympathy For The Devil" - le Diable fait vendre - mais la tragédie d'Altamont calma ses ardeurs mercato-satanophiles, avec à peine un "Dancin' with Mr. D." ultérieur à se mettre sous la fourche...

Pose, donc, plutôt qu'expression d'une conviction quelconque, la scénographie luciférienne de nos hardos en concert - et sa panoplie : momies, squelettes, masques et maquillage, guillotines, hémoglobine, volatiles plus ou moins sacrifiés... - tenaient plus du grand guignol Hammeresque que de la messe noire ou du culte satanique... Idem des colifichets des fans, croix renversées et pentacles en pendentifs, bracelets de force et bien sûr, signe de reconnaissance inoubliable forgé, dit-on, par Ronnie James Dio, poing fermé, index et auriculaire levés en cornes du diable mais dont certain bassiste de Kiss revendique également la paternité (avec, sans doute, des visées commerciales)... On tire d'ailleurs notre chapeau à Iron Maiden qui, après un "Number Of The Beast" réussi mais racoleur inclut un hilarant passage codé entre "The Trooper" et "Still Life" sur Piece of Mind dans lequel Nicko McBrain, imitant, bourré, Idi Imin Dada, nous avertit "'What ho,' said the monster with the three heads, 'don't meddle with things you don't understand..." Après Judas Priest (ce nom...), des King Diamond, Morbid Angel, Cannibal Corpse ou Deicid et des centaines d'autres groupes de death-metal poussent, avec, fait notable, le plus grand sérieux pour certains d'entre eux et un prosélytisme diffus, la blague un cran plus loin, à peine contrés par des groupes de rock catholiques (sic) qui se forment régulièrement à l'indifférence générale...

Naturellement, pour un Marilyn Manson marketé des pieds (même pas crochus) à la tête (même pas cornue), on tombe quand même, dans la vraie vie, sur de vrai(e)s cinglé(e)s, à la détresse toute humaine et homicide, mais pourquoi donc mettre ça sur le dos de Beelzébuth ou du rock ou des deux... Un exemple récent ? Les "Bêtes de Satan", une secte lombarde pas très catholique qui s'inspirait de Slayer, pour torturer, mutiler, brûler et tuer (pendaison, calcination, etc.), à au moins trois reprises, sans compter les suicides suspects et les disparitions inexpliquées... Dans la confusion générale, on a pu aussi en 1990 intenter un procès à Judas Priest après le suicide de deux adolescents du Nevada dont les familles éplorées mais bien conseillées avancèrent que le titre "Better By You, Better Than Me" sur l'album Stained Class laisse entendre (à qui le veut bien) un "Do it" comminatoire manifeste... Judas Priest qui reconnut plus tard avoir effectivement enregistré par ailleurs un bien anodin "In the dead of the night, love bites" dans un autre album (le mal-aimé Defenders Of The Faith) rétorqua fort à propos qu'à tout prendre, il aurait été plus intelligent de mettre des messages subliminaux pour booster les ventes de leurs albums... Même punition pour AC/DC qui traînait certes de bien bruyantes casseroles avec ses titres démoniaques "Sin City", "Rock And Roll Damnation" ou "Highway To Hell" et dont le serial-killer Richard Ramirez se réclama de l'influence lors de son procès (et notamment du titre "Night Prowler")... On est peut-être loin du Démon mais bon, comme on l'a vu, la quête de signes maléfiques ne s'embarrasse pas de scrupules... Citons d'ailleurs, pour la petite histoire, cet illuminé qui, dans un fabuleux raccourci, nous explique que la veille de son décès, Bon Scott aurait invoqué Satan puis aurait été, comme on le sait, "après un excès de drogue, empalé sur sa propre guitare"... Qu'importe, naturellement, que le chanteur ait été étouffé par ses propres vomissures...

On termine - épuisé - avec, trop bel honneur, quelques extraits des illuminations amphigouriques de l'infâme père Régimbald cité supra, pour rappeler à nos plus jeunes lecteurs/trices que les plus inquiétants ne sont, le plus souvent, pas ceux qu'on croit : "Les différents rythmes rock reproduisent (et c'est là le plus dangereux) les rythmes utilisés par les sorciers des tribus africaines et des milieux vaudous pour exaspérer le système nerveux et même paralyser le processus mental de la conscience. Tous les rocks ayant un beat, basé sur un rythme sorcier, lorsque nous écoutons même le rock le plus doux, nous écoutons un rituel sorcier de sexe, de perversion, de révolution avec toutes les conséquences qui suivent. [...] Pour obtenir ces buts sataniques, afin d'enlever la vigilance (sic(k)) et casser notre défense (double sic(k)) au niveau de la conscience (triple sic(k)), le rock utilise des messages subliminaux. [...] La technique la plus courante, la "verbale", consiste à enregistrer les phrases à l'envers. [...] Les premiers à utiliser une telle méthode furent les Beatles dans le chant "Revolution Member (quadruple sic(k)) 9" : "Excite-moi sexuellement, homme mort". [...] Enlevons donc cette "musique", ce fléau véritablement satanique, de nos maisons, des soirées entre amis, des bals à l'occasion d'un mariage... Le rock, même le soft, suinte l'impudicité et le satanisme. Il ne peut exister un rock "chrétien ". Le beat lui-même est anti-chrétien ! [...] Il n'y a pas de mal à danser ou à écouter du rock que l'on ne comprend pas, si cela a lieu dans une soirée entre catholiques, et en passant ! [...] Comment ? Où avez-vous la tête ? Cela ne vous fait rien de porter attention à des chansons composées par des adorateurs du diable ou de danser sur un rythme satanique, (plus de 50 000 chansons sont notoirement sataniques, à l'heure actuelle). Quelle honte pour vous catholiques ! Vous faites horreur au ciel entier ! Le rock enlevé, ne pensez pas qu'il ne reste que le Grégorien ! Non ! Vous pouvez trouver dans les chants, dans le Classique ; dans le Baroque, dans le Folklore régional... de quoi vous distraire sans dégât, comme de véritables catholiques..."