Buckethead: Alice In Slaughterland

#buckethead #guns-n-roses

Fascinante Amérique à la monstruosité fertile qui continue à alimenter consciencieusement une tératologie rock n' roll maison déjà passablement fournie en freaks de tous bords, de Michael Jackson à Marilyn Manson sans oublier, bien sûr, nos souffre-douleur fétiches Kiss... Au menu aujourd'hui, ni Wacko Jacko ni le satanisme cosmétique de Brian Hugh Warner ni même la bande à Stanley et Simmons mais, plus simplement, un seau de gras manchons de poulets, trois fameuses initiales et un Colonel moustachu, le tout au service de shredding, legato, sweeping et tapping onanistes... Un drive-in rock n' rollesque en somme, courtesy of Buckethead, pour ceux qui ne l'auraient pas encore reconnu...

Improbable destin que celui de Brian Carroll, guitariste californien prodige et falot dont la carrière musicale est toute à la gloire des gallinacés dans leur version la plus marinée, panée, épicée et frite - pour faire court, celle qu'on trouve dans une célèbre chaîne de restauration rapide en provenance du Kentucky, cornaquée par un Colonel... Confus, le portrait ? On reprend tout depuis le début alors...

Enfant excessivement réservé, Carroll se passionne tôt pour le rock, et, dès 12 ans, armé d'une guitare électrique et bénéficiant des cours de rien moins que Paul Gilbert, marche sans effort sur les brisées de Yngwie Malmsteen, Randy Rhoads, Angus Young, Louis Johnson, Jennifer Batten et Joe Satriani - autant dire que le bonhomme doit pas souvent réviser "Helpless" de qui-vous-savez... Interrogé à l'époque, il se présente dans la plus pure tradition classique du jeune-guitariste-prometteur : "In recent months, I've been putting all my efforts into making demo recordings of my playing and writing style...". Son style ? "Contemporay Fusion Rock (sic), played with punch, verve and all the chops you could ask for..."

Ses dons, plutôt exceptionnels, sont vite remarqués mais il faut attendre 1988 pour qu'un tournant historique soit imprimé à sa destinée jusqu'ici plutôt commune : visionnant le quatrième volet du classique slasher Halloween (Le Retour de Michael Myers, sauf erreur), le jeune Carroll ressentit un choc esthétique et, selon certains esprits chagrins, peut-être aussi commercial : porté sur scène, le cultissime masque du serial-killer Myers pourrait enfin lui permettre de vaincre cette timidité maladive qui lui interdit de donner la pleine mesure à son jeu à ou, à tout le moins, d'en faire profiter un quelconque public... Poursuivant sa réflexion solitaire, à l'issue de la projection, dans un Kentucky Fried Chicken, Carroll en conclut probablement que deux précautions valent mieux qu'une et décida d'enrichir sa toute nouvelle tenue de scène d'une touche moins effrayante mais lui assurant un anonymat renforcé : un seau ("bucket") siglé KFC et fort heureusement nettoyé de ses traditionnels manchons de poulets coiffant sa tête masquée...

Son personnage, zappaïen en diable, ainsi créé, "Buckethead" - "tête de seau", éventuel(le) lecteur/trice anglophobe - mit la légende en marche tout seul comme un grand et se produit aujourd'hui sur scène depuis bientôt près de 20 ans affublé de ce seau ridicule, le visage couvert du masque de Myers, sans faire évoluer d'un iota ce surprenant gimmick pourtant promis à toutes les variations et surtout à un abandon rapide... Si notre autiste accorde des interviews, il refuse en revanche d'y répondre personnellement et se sert d'une marionnette surnommée Herbie pour assurer le dialogue avec les journalistes, probablement ravis d'écouter un Tatayet ricain assurer la communication avec un masque surmonté d'un seau...

Accessoirement, notre gars est raide dingue de Disneyland, visité selon la légende plus de 500 fois, et laisse colporter les genèses les plus farfelues sur son parcours, dont une, fumeuse, qui voudrait qu'il fût le fils du Colonel Harland Sanders, fondateur de la chaîne de fast-food en question... Circule aussi une version particulièrement gratinée selon laquelle le pauvre Carroll passa son enfance dans un poulailler dont, victime de mauvais traitements - les œufs de sa famille (?) furent un jour sauvagement piétinés (?) -, il s'échappa en promettant à ses congénères volailles de jouer dès lors en leur hommage pour le restant de sa vie... Des développements encore plus fantasques sont disponibles, certains sur le propre site de Carroll, et abordent notamment le sujet du Bucketland, un Disneyland dédié, bien sûr, à ses inoubliables amis de basse-cour mais là, c'est nous qui saturons...

Sympathique, notre "mutant guitar virtuoso", non ? D'autant qu'on oubliait de préciser l'essentiel : reconnu par ses pairs, et par de très sérieux musicologues comme un véritable prodige, le guitariste aviaire a produit plus de 10 albums solo, a joué aux côtés de Iggy Pop, Viggo Mortensen (oui, l'acteur), Bootsy Collins, Tony Williams, a participé à de juteuses bandes originales d'hollywooderies (The Last Action Hero, par exemple), a officié au sein de Primus et, cruelle désillusion pour les fans de la première heure, au sein de... Guns n' Roses de 2000 à 2004 avec qui il a même gravé, dit-on, quelques interventions pour l'arlésienne Chinese Democracy toujours prévue pour cette année... Même Ozzy se frotta au personnage et lui proposa de remplacer Zakk Wylde - idée qui fera long feu, comme l'expliqua le Madman : "I tried out that Buckethead guy. I met with him and asked him to work with me but only if he got rid of the fucking bucket. So I came back a bit later and he's wearing this green fucking Martian's-hat thing. I said, 'Look, just be yourself!' He told me his name was Brian, so I said that's what I'd call him. He says, 'No one calls me Brian except my mother.' So I said, 'Pretend I'm your mum then!'"...

Alors, tenté ? On regarde ?