Suicide: Rocket U.S.A.

#suicide

Alan Vega et Martin Rev étaient-ils des génies ? Aux commandes d'un Suicide éphémère, dispensateur, le temps d'un album culte, d'émotions rares trop en avance sur leur temps, les deux compères, notoirement camés au dernier degré, ont en tout cas dynamité en trente-et-une toutes petites minutes le paysage rock, punk compris, à coups de halètements terrifiants post-Vincent et de boîte à rythmes minimaliste bricolée dans le garage...

Et en public ? On a pu parler du groupe le plus détesté de toute l'histoire du rock, loin devant nos chouchous Grand Funk Railroad, des rigolos de Kiss ou même de l'ex-prodige Rod Stewart.. Tout ça a même été enregistré, consigné et, les brumes chimiques un peu dissipées, remémoré avec verve par les intéressés eux-mêmes qui reconnaissent combien leurs prestations scéniques faisaient passer les concerts d'Iggy et ses Stooges - modèle révéré du duo toxico-nihiliste - pour une kermesse de fin d'année...

Suicide sur scène ? La référence, c'est le fameux show dans la capitale belge, 23 Minutes Over Brussels, qui laisse entendre le duo aux prises avec un public hostile, tentant une intégrale de son chef-d'œuvre studio avortée au bout de 23 minutes en plein "Frankie Teardrop"... Insultes d'un public haineux, Vega qui balance un "Shut the fuck up!" rageur avant de quitter la scène, toute une époque... Et si on vous disait que, loin d'être une exception, ce fut le quotidien du groupe ?

Sous sous nom si commercialement correct, Suicide, c'était tout d'abord la tête de lard du groupe, Alan Vega, chanteur-samouraï, qui avait ses petites manies comme tabasser les spectateurs qui n'avaient pas l'heur de lui plaire... Ceux-ci le lui rendaient bien - et, souvent, plus fort - le rouant généreusement de coups et, pour les plus sages, envoyant bouteilles de verre, chaises et couteaux sur la scène dans sa direction... Reclus derrière ses lunettes noires, l'autre tête monstrueuse de l'hydre new-yorkaise, Martin Rev, sorcier du synthé et de la boîte à rythmes, jouait d'une main et écartait les projectiles de l'autre, dans une atmosphère qui confinait souvent à l'émeute, la vraie... Vega, lui, n'hésitait pas à sauter dans la foule et à jouer de la chaîne de vélo...

Une incompréhension et une hostilité franches dont ne s'étonnaient pas le moins du monde les deux artistes, dont Vega qui, n'ayant jamais goûté les rares applaudissements reçus par le groupe, explique sa position : "When it came to our live shows, we didn't want to entertain people. We wanted to throw the meanness and nastiness of the street right back at the audience. If we sent them all running for the exits, that was considered a good show. Some nights we'd barricade the doors so they had no choice but to stay and listen. Every night was like fighting a revolution."

L'influence majeure des deux compères, c'était donc ce vieux Iggy, qui comme chacun le sait s'était cultement tailladé les veines en coulisse d'un concert entre autres happenings bon enfant : un choc pour Vega séduit par les constructions de situations de l'Iguane, la mobilité de la scénographie étendue jusqu'au public et l'autodestruction ambiante qui fit éclore fissa une vocation chez le jeune Alan : faire de l'art avec du rock, oui... Ce qui, avec les mots de Vega, donne : " ... What Iggy was doing with his singing, his body, everything, it was total, I mean, he was just transformed, he was in another time zone, it was another space zone, I mean, I don't know what it was... I mean, I walked out of there... I was completely... I mean, my life was changed, man. You walk into a gig as so-and-so, you know what you know about yourself, and walk out totally a big question mark..."

Élève appliqué, Vega se fit ainsi, en cette douloureuse année 1978 marquée par de multiples tabassages, bien éclaté la tête par des skins qui lui cassèrent le nez en plein concert, directement sur la scène, contraignant le pauvre - sa célèbre chaîne de vélo, retenue par les douanes, malheureusement hors de portée - à se taillader le visage à coups de tessons de bouteilles pour effrayer ses agresseurs... Vega avoue même qu'on lui fila un jour du fric pour ne PAS jouer, l'ambiance étant franchement au lynchage...

Et, entre deux concerts, les deux zombies savaient se relaxer : dégoûtés de la politique et bon citoyen, Rev décida ainsi un jour de tuer le président Nixon... Notre Travis Bickle en herbe acheta même le billet de train pour Washington, direct ou presque pour la Maison blanche, mais fut retenu de l'irréparable par Vega qui enferma le flippé dans une chambre...

Bien des années plus tard, en 1998, quand un Alan Vega un tout petit peu assagi repris la route, il se félicita de l'ambiance plus détendue de ses concerts - surtout après avoir connu un lancer de hâche, à quelques centimètres du crâne, en pleine tournée avec le Clash à Glasgow, en 1978 :"I mean, it sure makes it a lot easier on us! We pretty much know we're not gonna die tonight. Because every time the first 10-15 years it was like, okay, is tonight the night, ya know? Everything that's imaginable has been thrown at us, including a fucking axe! Nobody believed me on that one! We were opening for the Clash in Glasgow in '78, and I saw a fucking axe come flying! I mean, an axe, baby! It was like one of those old John Wayne 3-D movies! You know those old 3-D movies? Arrows flying, tomahawks! It was like, where am I, in a 3-D western film? And no one believed me!"

Finies les émeutes, aujourd'hui, donc... Loin d'être le roi des paumés, Vega conclut : "We probably caused more riots because we had a drum machine instead of a guitar player. [...] You can't cause a riot now, anyway. The kids today, they've seen it all already. With television, the video games, the way the world is, the amount of information kids receive compared to what I got as a kid, it's completely different. I can't see what would cause a riot now."