The Allman Brothers: Done Somebody Wrong

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Pas précisément des enfants de chœur non plus les Allman Brothers, tiens... On vous épargne l'histoire glaçante des deux accidents mortels, curieusement similaires, qui, au tout début des seventies, coûtèrent la vie au guitariste Duane Allman et au bassiste Berry Oakley, rétamés en moto à un an d'intervalle au même endroit, à quelques dizaine de mètres près, pour se faire un premier panaché des faits d'armes de nos chaleureux sudistes... Nan, nan, ne seront pas davantage développés les déboires conjugaux de Greg Allman dont on se souvient peut-être que, fraîchement divorcé de l'effrayante Cher et conséquemment déprimé, il s'illustra notamment à une soirée de remise de prix par un spectaculaire évanouissement, face la première dans une assiette de spaghettis... De tout ça, point ici : au programme aujourd'hui, et pêle-mêle, une pause pique-nique bovidophobe, une astuce red-neck pour échapper à la conscription, et, pour faire bonne mesure, un terrifiant roadie assassin toujours en liberté...

"Eat Shit" : cette devise gastronome, fièrement arborée au dos de son cuir par le guitariste Dickie Betts donne le ton, sinon la saveur, de cette life on the road sudiste où s'illustrèrent, particulièrement durant l'excessive décennie seventies, le sextet de Macon, Géorgie... Commençons par le détonnant Betts, justement, que plusieurs témoignages concordants donnent pour douteux héros d'une incroyable histoire : chevauchant sa grosse cylindrée - décidément populaire au sein du combo confédéré -, Betts, se trouvant par ailleurs méchamment affamé, décida de remédier illico au problème en faisant une halte aux abords de la première ferme du coin...

Là où beaucoup auraient entrepris de demander courtoisement un bout à grailler aux habitants du cru, Betts, lui, enjamba la barrière d'un enclos et - believe it or not - tua une vache qu'il commença à dépecer... Seule l'intervention de la police interrompit finalement le guitariste dans son carnage dont il n'est pas interdit de penser que, plus que d'un estomac en souffrance, c'est d'un cortex acidifié à l'extrême qu'il est l'affligeant résultat... Une réaction un tantinet régressive, donc, mais par ailleurs probablement applaudie à deux mains par un vrai néandertalien, adepte, on le sait, de la cuisine mâle mais on s'égare, là...

On poursuit, retour quelques années auparavant, en 1965 exactement, alors que les deux frères Allman, Gregg et Duane, lançaient leur premier groupe, les Allman Joys... C'est à cette époque que les devoirs de citoyen du jeune Gregg, âgé de dix-sept ans, le rattrapèrent douloureusement : convoqué par Uncle Sam pour un départ précipité au Vietnam (Duane, en sa qualité d'aîné de la famille, y coupait), le chanteur vit toutes ses ambitions musicales réduites à néant et en fut littéralement effondré... C'était compter sans l'ingéniosité de son grand frère qui monta vite un subterfuge imparable : il proposa à son frère de se tirer une balle dans le pied. Gregg y réfléchit quand même à deux fois - "I thought he was joking. He wasn't." - mais, bon an mal an, se rendit à l'évidence : une grosse douleur restait préférable à des mois (des années ?) au fin fond d'une jungle dont commençaient déjà à sourdre d'effroyables échos... Prévenant, et il faut le dire un brin amusé par l'histoire, Duane organisa même une fête en l'occasion à "the first foot-shootin' party" selon Gregg - histoire de faire passer un peu mieux la pilule... Filles, speed et whisky et quelques canons sciés aussi étaient de la partie et quand vint le moment fatidique, Duane ne se priva pas d'aiguillonner la fierté de son petit frère, évidemment pas rassuré, le traitant de euh pied-tendre devant les filles qui gloussaient : ("I invited these nice ladies over here to see a foot-shootin' and you're going to let them down ?", ce genre)...

Là, c'est le héros de la fête qui en parle le mieux : "So I said, 'I need some kind of target.' I had moccasins on, and Duane painted a target on my left foot. I didn't want to hurt myself. The long bones in your foot come to a V, and I wanted to hit right there so it would crack two of them but not really upset anything permanently". Emêché et enhardi, Gregg le valeureux finit par se lancer, non sans avoir, au préalable, appelé une ambulance et attendu d'en entendre les sirènes : "I sat down, took real close aim, and bam! The pain, oh, man! I was bleeding quite a bit because the speed and liquor had my blood pressure going. But I was 17, and you know what they say: 'God protects children and drunks.'...". Leur forfait accompli, et Gregg soigné, nos deux pieds nickelés s'aperçurent d'ailleurs peu après que le mocassin marqué risquait de les compromettre et c'est Duane qui s'offrit d'aller le récupérer en salle d'opération... Son jeune frère fut déclaré inapte, le lendemain, au bureau militaire où il se présenta en béquilles...

Mais c'est à un certain Twiggs Lyndon, roadie du groupe, qu'on doit d'avoir un peu entamé le mythe de la légendaire hospitalité sudiste - ou, à tout le moins, d'en avoir proposé une interprétation toute personnelle - et d'avoir ainsi offert au groupe une des pires heures de sa légendaire équipée... Qu'on en juge : arrivant, début 1970, quinze malheureuses minutes en retard dans un club de Buffalo (New York) où un public chauffé à blanc les attendait, les six musiciens se heurtèrent à un refus poli mais ferme du propriétaire qui, naturellement, refusa aussi de les dédommager... Probablement à court d'arguments, le fameux London lui planta à trois reprises un couteau de pêche dans l'estomac ; le pauvre homme ne survécut que quelques jours à cette agression et, fort logiquement, Lyndon fut inculpé d'homicide volontaire...

L'histoire ne s'arrête malheureusement pas là : au moment du procès, les avocats de Lyndon arguèrent du contexte particulièrement déstabilisant des tournées des Allman Brothers et avancèrent donc l'explication socio-psycho-bancale d'une folie passagère de leur client favorisée par un entourage perturbant... Plus loufoque encore, appelé à la barre en plein trip, le bassiste Berry Oakley tint des propos incohérents, entrecoupés d'absence disons sanitaires employées à asperger les toilettes du tribunal de puissants vomissements, et, à part reconnaître incidemment sa propre culpabilité de drogué notoire, n'apporta aucune pièce au dossier à la décharge de l'inculpé... Et Lyndon ? Il fut déclaré innocent par le jury, nous demandez pas pourquoi : les tournées pouvaient reprendre...