Blue Öyster Cult: Don't Fear The Reaper

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On avait quitté, il y a une vingtaine de mois, nos chouchous du Blue Öyster Cult embourbés dans leur fricotages mystico-nazillons savamment marketés avec la vague promesse qu'on les retrouverait en ces colonnes, le succès du splendide Secret Treaties derrière eux... C'est enfin chose faite avec en Une, aujourd'hui, l'écrasant hit de nos sympathiques ferrailleurs ostréidés de Long Island, l'incontournable "(Don't Fear) The Reaper"... Si on est loin de la polysémie sataniste du "Hotel California" des Eagles, on sera surpris de voir combien les fans continuent à s'écharper sur les sens cachés d'un titre pourtant furieusement calibré FM, en appelant à Shakespeare ou Peter Pan et poussant même Christopher Walken à se grimer en (faux) Bruce Dickinson... Allez, hop.

On vous fait pas l'affront de vous rappeler que ce "(Don't Fear) The Reaper" fut écrit par le génial Donald "Buck Dharma" Roeser, guitariste lead du combo qui, pour l'occasion, se chargea des vocaux sans être plus inspiré que ça, d'ailleurs... On est en 1976 et la période des audaces est bel et bien finie pour un Cult qui sort épuisé d'une impressionnante trilogie - avec l'idée que les compos fouillées, c'est bien mais ce qui serait mieux encore, c'est que l'affaire rapporte un peu de pognon... C'est précisément avec cette ballade malsaine sur la Faucheuse roublardement corsetée pour la radio, incluse sur l'album Agents Of Fortune, que le quintet touche le jackpot... Le titre, lui, assurera aussi les beaux jours des habilleurs sonores de séries, des Simpsons à Nip/Tuck en passant par Six Feet Under ou Prison Break, de téléfilms, comme Le Fléau de Stephen King (grand fan du groupe qui fit un clin d'œil à la dite chanson dans ses écrits) et même de jeux vidéos... Bien avant, c'est grâce au film Halloween de John Carpenter, où le titre accompagne les épreuves de la pauvre Jamie Lee Curtis que "(Don't Fear) The Reaper" se fait connaître au plus grand nombre... Reprise par la suite par une poignée de groupes plus ou moins obscurs, dont HIM dans une étonnante et souvent décriée version en duo, les néo-zélandais The Muttonbirds pour le film de Peter Jackson Fantômes contre fantômes ou Oingo Boingo, groupe cryptissime du compositeur Danny Elfman, la ballade aura même les honneurs en 1978 d'une version live par le Cult lui-même sur son album Some Enchanted Evening...

Que trouvait-on donc dans ce morceau qui lui vaille un telle descendance ? Un riff sympatoche et entêtant, une cowbell - ou tout comme, on y reviendra - et des paroles qu'on vous reproduit ici pour que vous ayez toutes les cartes en mains :

All our times have come
Here but now they're gone
Seasons don't fear the reaper
Nor do the wind, the sun or the rain... we can be like they are
Come on baby... don't fear the reaper
Baby take my hand... don't fear the reaper
We'll be able to fly... don't fear the reaper Baby I'm your man...
Valentine is done
Here but now they're gone Romeo and Juliet are together in eternity...
Romeo and Juliet 40,000 men and women everyday...
Like Romeo and Juliet 40,000 men and women everyday...
Redefine happiness
Another 40,000 coming everyday...
We can be like they are [...]
Baby I'm your man
Love of two is one Here but now they're gone
Came the last night of sadness
And it was clear she couldn't go on
Then the door was open and the wind appeared
The candles blew then disappeared
The curtains flew then he appeared...
Saying don't be afraid Come on baby...
And she had no fear / And she ran to him...
Then they started to fly They looked backward and said goodbye...
She had become like they are
She had taken his hand...
She had become like they are
Come on baby... Don't fear the reaper

Voilà. Bon, même les anglophones contrariés auront compris qu'il s'agissait d'un truc sur la Camarde, avec quelques métaphores passe-partout, une louche de folklore vaguement médiéval et basta, c'est plié... Pour la faire courte, on sent que Buck nous parle de la mort, qu'il juge inévitable mais pas nécessairement effrayante, avec éventuellement une transcendance possible par l'Amour - enfin, il nous dit ça avec ses mots, Donald, qui, dit-on, se sentait mourant à l'époque de la composition... Et ces 40 000 hommes et femmes, au passage, c'est son compte perso de décès quotidiens dans le monde... Comment est-il arrivé à ce nombre ? On sait pas

À partir de là, les fans se sont tripoté(e)s, comme il se doi(g)t, sur la signification profonde du texte du guitariste... Cette Faucheuse à qui il faut prendre la main ("Baby take my hand... don't fear the reaper"), n'est-ce pas une invitation au suicide ? Invitation par essence satanique d'ailleurs, l'aura sulfureuse du groupe ajoutant au malaise ambiant... Ou, plus précisément, pacte suicidaire entre deux amants, d'où la référence shakespearienne, d'ailleurs curieusement interprétée ("Romeo and Juliet / Are together in eternity") ?

Buck a eu beau se défendre de telles visées morbides, plaçant au pire son œuvre sous le signe du vieux combo Eros-Thanatos, rien n'y fit... Fans un jour, fans toujours : ignorant les précisions de leur idole, certains continuèrent à avancer des hypothèses coûte que coûte, y décryptant la fin d'une relation amoureuse et le départ de l'aimée ("Valentine is done") - bon, pourquoi pas ? -, ou les doutes qui saisissent les futurs mariés à l'aube d'une vie commune... Bon, là, on peut pas trop vous dire...

Mieux encore, si l'on peut dire, des esprits éclairés y virent, ou y entendirent, une évidente allusion au suicide en masse de la secte de Jim Jones à Jonestown... Et qu'on vienne pas leur fait remarquer que la tragédie guyanienne a eu lieu le 18 novembre 1978, soit deux ans après la commercialisation du single... Et puis, finalement, rien n'indique effectivement qu'a contrario Jones n'ait pas écouté le titre avant d'emporter avec lui ses 900 disciples...

D'autres, plus touchant(e)s et plutôt solitaires, y voient une apologie de Peter Pan, l'enfant qui ne grandit jamais et qui en plus vole : ce "Take My Hand" et ce "We'll be able to fly", on croirait presque voir la fée clochette et Wendy, non ? Non ? D'autres encore, dans une glose plutôt récurrente, pensent que le titre est une ode au vampirisme, sur la base de son refrain séducteur, ou même aux substances illicites : la Juliette du barde ne s'était-elle pas droguée pour se faire passer pour morte ?

Fort heureusement, et contre toute attente, de ce fatras glosesque, fleurit une improbable apostille - résolument comique pour le coup - qui se repositionna sur l'essentiel : la musique... Quand ? En 2000, quatorze ans après l'enregistrement de l'original... Qui ? Will Ferrell et Christopher Walken, dans le rôle de Bruce Dickinson, producteur à ne pas confondre avec "l'autre" Bruce... Où ? Les studios du Saturday Night Live... Si Walken éclipse, à son habitude, le reste des acteurs, l'inoubliable mascotte du sketch est ce Gene Frenkle, faux roadie inventé pour les besoins du dit sketch et interprété par Will Ferrell, et son encombrante cowbell... Certains avancent au passage que c'est un woodblock et non une cowbell qui fut utilisé sur l'enregistrement originel mais, n'importe, le mal était fait : devant le succès du sketch, le Cult lui-même dut faire venir sur scène un roadie pour remplir ce rôle... On regarde ?