Heard It On The X #21

#the-gun-club #pearl-jam

On remet le couvert et on lance la vingt-et-unième édition de notre grand mezze rock 'n' rollesque mensuel avec aujourd'hui le point sur le deal patronymique entre le (un peu trop) cultissime Gun Club et le (pas assez ?) légendaire Circle Jerks, le tour (de quelques-uns) des délires auto-alimentés entourant les origines du nom Pearl Jam et, enfin, on se mange en deux trois coups de cuillerées à pot le fantasmatique "Fire And Rain" de James Taylor...

Ouane/ La bourgeonnante scène punk de LA en ces seventies finissantes : du beau linge (on doit vraiment les citer ?) et la révolution hardcore qui pointe le bout de ses saturations speedées, avec notamment le méchant Black Flag pas encore porté aux cimes par son jeune chanteur Henry Rollins - Damaged ne sortira qu'en 1981 - mais piloté pour ces premières années par Keith Morris, premier hurleur du groupe sous les commandes vocales duquel le groupe ne commit qu'un EP, Nervous Breakdown, avant que le vocaliste n'explose en plein vol - "I was the Tasmanian devil, the court jester; I was the dog on the chain who was let out of the cage" avouera -t-il... Lesté de démons, Morris quitte le groupe en 1979 pour former le plus brutal encore Circle Jerks...

Le rapport avec Gun Club, le tribal psychobilly blues band de Jeffrey Lee Pierce, qui ne se rattache que géographiquement à cette scène ? La (micro-)légende veut que Morris et Pierce, compagnons de chambrée, se soient mutuellement offert les noms de leur groupe à leurs débuts... Camaraderie artistique, complémentarité des génies et tout le bazar : séduisante mythologie, mais, en fait d'échanges, c'est surtout Morris qui souffla à Pierce, dont le groupe alors appelé Creeping Ritual commençait à avoir mauvaise réputation et menaçait d'être blacklisté, le nom - modérément inspiré, d'ailleurs- de Gun Club qui permit à Pierce de se refaire une virginité sur la scène locale, de se débarrasser au passage des inattendus oripeaux gothiques de son bancal "Rituel rampant" et de voguer sous une bannière un peu plus raccord avec la scène angelenos... Pierce rendit effectivement la monnaie de sa pièce à Morris, non pas en lui suggérant le nom de Circle Jerks, sous le nom duquel Morris put enfin mieux se faire connaître, mais en lui écrivant les paroles de la chanson-titre du premier album détonnant du groupe, "Group Sex"...

Tou/ Impossible que vous ayez échappé au petit jeu de Pearl Jam... Très simple, et essentiellement drivé par leur chanteur Eddie Vedder, il consiste à emmancher toutes les interprétations et généalogies possibles du nom du groupe, dans les pas d'une grande tradition rock 'n' rollesque sans laquelle ces colonnes seraient bien maigres... On l'a déjà vu, une allusion mâle et potache au sperme fut vite mise sur le marché fantasmatique rock 'n' rollesque mais, en vrac, et souvent grâce à Vedder lui-même, on a pu aussi dire que le nom avait été inspiré par un fameux album de Janis Joplin - hmmm -, par l'arrière-grand-mère de Vedder (dont le surnom était effectivement "Pearl" mais qui, contrairement à ce que laissa entendre malicieusement le chanteur, ne fut pas marié à un Indien qui l'initia à des mélanges - "jam", donc, hein - avec du peyotl) ou encore par un terme de surf, genre le bout de la planche qui glisse sous l'eau, bon, nous demandez pas, hein... L'approche sportive est d'ailleurs gratifiante pour le fan généalogiste : le premier blaze du groupe de Vedder, c'était Mookie Blaylock, du nom d'une star du NBA et l'album le plus fameux du Jam, Ten, fait référence au numéro du basketteur sur le terrain - peut-être quelque chose à creuser, mais bon, le rock et le basket, comment dire... Vedder, peut-être sérieux cette fois-ci, a quand même avancé que, en fait, cette "mixture de perle" pourrait faire référence au processus huîtrier qui fait d'un grain de sable une perle... Pas loin du symbolisme de Rocks de certains gars de Boston, en somme...

Sri/ "My family was kind enough and smart enough to sort of put me in... a nut house, for a while" : dépression et drogues, dès 17 ans, James Taylor entre dans la vie adulte... On ne s'étonnera pas que le sujet parcourt son deuxième album, celui de la révélation publique, Sweet Baby James, et plus encore son fameux septième titre "Fire And Rain" en 1970... Si fameux qu'il fut vite l'objet - oui, encore - d'interprétations fumeuses, sur la base de ses paroles, finalement pas si mystérieuses... L'intéressé pris pourtant tôt soin d'expliquer en détails la genèse de ce titre, bricolé en trois fois, correspondant grosso modo aux trois strophes principales du titre : à Londres, tout d'abord, où, dépressif et au fond de l'abime, le jeune Taylor auditionnait pour l'Apple Records des Fab Four ; dans un hôpital de Manhattan où il soignait son addiction à l'héroïne ; et enfin, dans le Massachussets, à la trop connue clinique psychiatrique The Austin Riggs où il, euh, se soignait encore... Cet historique d'une composition en trois temps et trois lieux est devenue si connu des fans de Taylor que celui-ci s'en amuse aujourd'hui encore sur scène, brouillant les pistes en déclarant que le titre fut en fait composé au milieu des chèvres et des dealers sur l'île de Formentera (célébrée par King Crimson, mais on sent bien que vous vous en foutez)... Quant au contenu même du titre, il s'en est ouvert à Rolling Stone en 1972 : "The first verse is about my reactions to the death of a friend. The second verse is about my arrival in this country with a monkey on my back, and there Jesus is an expression of my desperation in trying to get through the time when my body was aching and the time was at hand when I had to do it. And the third verse of that song refers to my recuperation in Austin Riggs which lasted about five months"... Pas franchement cachottier, Taylor avoua même avoir piqué la progression d'accords à son propre frangin... Cette sincérité n'empêcha pas certains fans, par milliers quand même, de décréter quand même que le thème de la chanson était... un crash d'avion. Oui... Taylor qu'on emmerdait pas encore avec "You're So Vain", se retrouva ainsi à démentir et à corriger jusqu'à ce qu'il abandonne la partie...

Certes, le passage où il mentionne des "flying machines in pieces on the ground" pouvait accréditer la thèse avionneuse des fans mais il leur était difficile de nier que la référence, explicitée par Taylor lui-même, portait tout simplement sur son ancien groupe, The Flying Machine, et son pote Danny Kortchmar, guitariste de session qu'on retrouvera chez Carole King... Mais c'est surtout le tout début de la chanson et son "Just yesterday morning, they let me know you were gone. Suzanne, the plans they made put an end to you" qui déclenchèrent la boîte à fantasmes... Le sens, selon les plus illuminés des fans en tout cas ?

Allez, on vous le donne parce qu'on sait que vous le répéterez pas : des potes de fac auraient fait une surprise à Taylor en payant un billet d'avion (confusion entre "plans" et "planes", à la prononciation pourtant distincte ?) à sa petite copine pour qu'elle le rejoigne mais, horreur, l'avion se crasha, jetant sa copine dans le vide et le folkeux dans un profond désespoir... Les paroles en deviennent incontestablement limpides, non ? Bon. Outre le fait que Taylor n'a pas fréquenté la fac et que la nana en question, Susie Schnerr, n'était qu'une amie (comprendre : elle était moche, probablement), la malheureuse, internée comme le fut Taylor quelques années auparavant - la thérapie dite "de choc" éprouvée par Lou Reed, à coups d'électrochocs et de couches froides, feu et pluie en somme -, mit fin à ses jours...

Le "they let me know" est ainsi une allusion au fait que Taylor n'apprit la nouvelle du suicide de son amie que quelques mois plus tard, ses amis voulant lui épargner cet énième traumatisme à l'aube d'une carrière prometteuse et en plein enregistrement de son second album... Quant au "the plans they made", il évoquait selon Taylor des forces supérieures présidant au destin des hommes mais, pour le coup, c'est le chanteur qui alla au-devant des gloses fumeuses des fans et, craignant un moment que les parents de la suicidée se sentent visés par ce "they" indéfini, insista sur le sens purement métaphysique du passage..

C'est tout ? Nan, bien sûr - car, faut-il le préciser, y a même quelques rigolos qui vous expliqueront que le titre est une allégorie visionnaire du 11 septembre, mais là, on a un gros coup de fatigue, pas vous ?