The Stranglers: Baroque Bordello

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Pour les plus pressé(e)s, le "Sex & Drugs & Rock & Roll" cher au blockhead Dury et si souvent célébré en ces pieuses colonnes, c'est Led Zeppelin, les Who, Mötley Crüe, Suicide et quelques autres bien connus des anthologies... C'est pourtant compter sans une certaine arrière-garde des mythes rock n' rollesques qui réserve, elle aussi, de jolies surprises en matière d'excès ambigus, de private jokes invariablement potaches et de débordements destructeurs... Qui soupçonnerait ainsi les Stranglers, punk-rockers new-wavers souvent mal identifiés, d'avoir été de bien violents apôtres d'un grand bordel punk, bien plus réaliste que la foire marketée sexpistolsesque ? De séjours en prison pour détention de substances en concerts-émeutes ou shows destroy avec strip-teaseuses en renfort, la bande à Burnel se pose gentiment quand il s'agit de mettre le boxon... Un point rapide et après ça, vous n'écouterez plus The Raven comme avant... On parie ?

Dès 1977, l'année de la sortie de leur premier album Rattus Norvegicus, la réputation des Stranglers est telle qu'ils sont obligés de changer de nom... Un an avant, le chanteur et guitariste du groupe, Hugh Cornwell, avait fait du grabuge en montant sur la scène londonienne du Rainbow Theater avec un T-shirt imprimé d'un "Fuck" pourtant bien gentil mais siglé sur le modèle du constructeur automobile ricain Ford... Une plaisanterie pas au goût du Greater London Concil, le conseil municipal de la capitale, qui fit interrompre le concert et mit le groupe persona non grata dans tout Londres pour une longue année... Pragmatiques, les Men In Black de Chiddingfold se produisirent pendant un temps sous des noms d'emprunt comme les "Johnny Sox" (au Duke of Lancaster, en février 1978), les "Old Codgers" (au Nashville, en septembre 1978) ou les "Shakespearos" (à l'Hammersmith Red Cow, quelques jours avant)...

Les Stranglers live ? Disons que, là où Suicide faisait dans l'autodestruction nihiliste, les Stranglers, eux, menés par leur bassiste Jean-Jacques Burnel, expert en karaté et propriétaire, semble-t-il, de son propre dojo, s'abîmait davantage dans la destruction tout court... C'est en tout cas un constat probablement partagé par ce spectateur d'un concert à Lyon qui, ayant craché sur Burnel, se fit hisser sur scène par le dit bassiste et ses potes, puis déculotté devant un public aux anges et fourré une portion à la longueur non enregistrée de banane (non épluchée...) dans le fondement à la grande hilarité du groupe, innovant dans le protocole de proctologue... Mais pas de mauvais procès : certes un peu excessive, la bande à Burnel pensait surtout à déconner et foutre le bordel gentiment, si on l'embêtait pas trop, quoi...

Ainsi, en réponse à l'interdiction municipale londonienne, les Stranglers organisèrent dès 1978 un concert très spécial dans le Battersea Park de la capitale... Pour faire bonne mesure, les hommes en noir, notoirement sexistes (selon la presse anglaise en tout cas), firent monter sur scène quelques strip-teaseuses amies de Burnel, pendant le titre "Nice And Sleazy" - on vous laisse chercher les photos, savoureuses... L'affaire fit naturellement grand bruit et s'étala sur de nombreuses manchettes de journaux à l'époque - et jusqu'à la pochette du Live (X Cert) que nos foireurs de service, qui furent tout de même arrêtés et interrogés par la police pour répondre de leur gag, produisirent en souvenir : on y voyait une main poisseuse, émergeant de plastique fondu et à moitié refermée sur une vraie-fausse coupure de tabloid avertissant les bonnes consciences britanniques d'un terrifiant : "Stranglers in nude woman horror shock"...

La fête continue le 1er novembre 1979 : de retour d'un concert à Cardiff, Hugh Cornwell et le manager Paul Loadsby se font arrêter par la police qui, idée saugrenue, fouille leur voiture et par un hasard malencontreux y trouve un tout petit peu de cocaïne et puis de l'héroïne et du cannabis aussi... Les deux hommes sont condamnés à huit semaines de détention, histoire de marquer le coup... Le juge déclare alors à l'intention de Loadsby et Cornwell, qui avait quelques années auparavant mis un terme à de prometteuses études de médecine pour se lancer dans l'aventure Stranglers : "You are two intellectual men of mature years who have a great influence on the lifestyle of teenagers and who should not cause damage to the morals and physical well-being of those who admire you. Both of you have a university education which makes your involvment in the drug scene all the more contemptible..." Seul point positif : l'épreuve, certes relative, fournit à Cornwell la matière d'un livre rédempteur sur les conditions de détention dans les prisons britanniques.... Pendant ce temps-là, ses potes l'attendaient pour le concert du cinquantième anniversaire du Rainbow, et ce furent dix-neuf improbables recrues de dernière minute, parmi lesquelles lan Dury - quand on vous disait que la sainte trilogie rock était sur les talons de nos Stranglers... - et... Steel Pulse, qui remplacèrent au pied-levé l'infortuné Cornwell...

Printemps 1980, un an plus tard donc, un festival rock sur le parvis de l'Université de Nice (oui), des pannes de courant contraignent le groupe à interrompre leur concert... Immédiate et fortement traditionnelle, la réaction du public consiste à jeter des bouteilles et casser quelques vitres du restaurant universitaire et de la conciergerie avoisinante... Bilan : on parla de 100 000 puis 250 000 francs de dégâts, revus à la baisse lors d'une estimation ultérieure, qui se fixa quand même sur 86 311 francs soit 13158 euros très précis à l'heure où nous rédigeons ces lignes... Les Stranglers, eux, tombèrent sous le coup de la loi anti-casseurs puisque des responsables universitaires témoignèrent que le groupe avait rejeté, à raison, la responsabilité des incidents techniques sur l'Université mais, en précisant aux 500 spectateurs que la dite université avait suffisamment de pognon pour faire tourner un concert correctement puis en jetant l'éponge avec un "Et maintenant vous faites ce que vous voulez" négligemment lancé à son public, avait quand même mis un peu le feu aux poudres... Arrêtés, menés au commissariat de la rue Gioffredo puis libérés au bout d'une semaine après règlement de la facture mastoc, nos néo-loubards frôlèrent le désastre et la banqueroute et durent accessoirement annuler des sessions d'enregistrement en Italie alors que la menace damoclèsienne d'un à cinq ans de prison planait au-dessus de leur tête...

Pas déprimés, ni calmés, mais libres et toujours aussi francophiles, les Étrangleurs en remirent une couche en 1985 à la faveur de ce qu'il faut bien se résoudre à appeler, tabloid way, le "Zénith Incident"... Le concert roulait pourtant peinard, Burrel y faisait ses trucs de karaté sur scène pour des raisons que lui seul connaît, le batteur était un peu out, mais dans l'ensemble l'affaire tournait gentiment... Lors du rappel, les gars s'arrêtèrent en plein milieu d'un titre pour insulter la foule. Le motif ? Le public, con comme ses pieds, n'avait même pas réalisé que les Étrangleurs jouaient en play-back... Les Stranglers, bras croisés, firent même, en manière de preuve, jouer les bandes enregistrées dans les speakers devant un public un peu perdu... Le tout se voulait en fait une bonne blague - quand on vous dit que c'est rien que des farceurs -, le concert du jour ayant été consigné sur bandes, les Stranglers trouvaient poilant de faire croire qu'ils n'avaient pas joué live en passant les dites bandes fraîchement enregistrées... Le public, lui, ne fut pas trop amusé et quand le gig repris pour quelques ultimes titres, se demandait encore ce qu'il fallait comprendre...

Et nos Stranglers et la presse ? Accusé de tous les maux, du sexisme (Ah ce "Bring On The Nubiles" au titre nabokovien !) au néo-fascisme, par une presse britannique - Sounds, Record Mirror, New Musical Express - pas vraiment sous le charme, censurés par la BBC, les "Machos du rock" de passage à Paris répondirent par un coup d'éclat improvisé, une espèce de happening post-gonzo qui a dû se faire trémousser sa jeune victime qu'on imagine par ailleurs difficilement récalcitrante... Courtisés par un certain Philippe Manœuvre très pressant, les Anglais avaient en effet consenti à lui accorder une interview et harcelés, prirent enfin rendez-vous... Dans les parages de la Tour Eiffel, les Anglais y emmenèrent le Philou et, en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, Burnel et Cornwell le ligotèrent et l'attachèrent à un des montants métalliques... Libéré, si on l'en croit, par des touristes japonais le lendemain au petit matin (mais photographié dans l'intervalle par Claude Gassian), Philou l'aurait tout de même encore mauvaise des années après, même si la chose est devenu un passage obligé de sa geste, revue, comme il se doit, à son avantage...

Brunel explique d'ailleurs comme ça l'absence suspicieuse de son groupe au sein des pages du jadis prestigieux magazine Rock&Folk dont Manœuvre est devenu ensuite rédacteur en chef avant d'accéder à des fonctions autrement prestigieuses à la télévision française... : "Rock&Folk will not touch us. Unfortunately, but the Redacteur en Chef is a guy called Philippe Manœuvre and I tied him up to the first floor of the Eiffel Tower many years ago, and the guy's got no sense of humour. It was 24 years ago and he's still rancorous. He is a bit 'stalinist' with The Stranglers because we are non-persons. We don't exist. But this is not a problem. We will survive Philippe Manœuvre. Rock&Folk will be dead before we are. We've seen the end of Best, bring on Rock&Folk."