Black Sabbath: Born Again

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"I saw the cover then puked, then I heard the record then puked" - le grand Gillan, Ian de son prénom pour les retardataires, ne s'embarrasse pas de sentiments mitigés à l'endroit de son incursion mouvementée au sein de Black Sabbath, marquée à jamais par le curieux et fascinant album Born Again, paru en 1983... S'agissant du Sab', on pourrait certes revenir à loisir sur les frasques délirantes de son Mad Man From Birmingham de leader - on s'en privera d'ailleurs pas prochainement, tiens - mais on a un petit faible pour cette singulière période où l'ex-chanteur de Deep Purple fricota avec les riffs sombres de Tony Iommi, la basse agile et rocailleuse de Geezer Butler et la frappe sismique du sous-estimé Bill Ward...

Si l'avénement d'un Black Purple ou Deep Sabbath qu'appelaient de leurs vœux de nombreux fans n'eut jamais lieu, cette courte année ne fut pas le vide artistique auquel on a cru bon la réduire - quant à l'entente des intéressés, elle fit appel à de délicieuses dynamiques spinaltapiennes, brassant reconstitutions stonehengiennes foireuses déjà évoquées, le suicide manqué de Gillan en kart, un crâne éclaté sur un radiateur mais aussi l'explosion d'une bombe au fond d'un lac, une tente qui éclate en confettis, un prêtre furibard, un beau bordel dans le manoir de Richard Branson et, ah oui, le retour du nain barbu qui saute dans le vide aussi...

Juste avant la venue de Gillan, une petite révolution comme on sait : au départ de l'irremplaçable mais über-déliquescent Ozzy, le fantasy-midget Ronnie James Dio avait reboosté Black Sabbath avec deux albums pêchus, Heaven And Hell et Mob Rules au sein desquels Iommi et Butler et Ward, régénérés, inventèrent rien moins que tout l'œuvre d'Iron Maiden avec des similitudes si troublantes - basse triolet, riff, chant, compo - qu'on s'étonne qu'il n'y ait pas eu procès illico dés le premier album de la bande à Steve Harris (Ecoutez le titre "Heaven And Hell" pour les sceptiques) - sans doute la présence commune d'un certain Martin Birch aux manettes de production...

Difficile en tout cas pour les fans de ne pas reconnaître que ce nouveau Sab', passé le traumatisme du remariage - ailleurs, Brian Johnson en souffre encore, trente ans après la mort de Bon Scott - était ce qui pouvait arriver de mieux à un groupe confronté à une nouvelle décennie rock blanchie sous le harnais des giclées punk, des pointes de vitesse de la NWOBHM et des pyrotechnies vanhaliennes... L'union fut toutefois de courte durée, Dio se cassant dès la fin de la tournée Mob Rules à l'été 1982... Si, depuis, le gueuleur vertically-challenged a reconnu sans aucune amertume que l'aventure fut exceptionnelle et également profitable pour le gang de Iommi et sa pomme, la fin en fut quand même un brin acrimonieuse sur fond de poussées d'égo turgescentes du père Ronnie qu'une carrière solo appelait de toute évidence, le Sab maintenant bien en vue sur son CV... La publication d'un live bilan, Live Evil, fut particulièrement cocasse, Iommi et Butler s'affairant aux consoles de mixage dans la journée sans soupçonner que Dio et Appice (Vinny, frère de Carmine, dépêché en remplacement de ce bon vieux Bill mis KO par la booze) revenaient nuitamment pour quelques interventions méchamment révisionnistes...

On s'étonna ainsi - ou, pour certains, on fit semblant de s'étonner - un temps de découvrir que chaque matin, les réglages de la console de mix étaient différents de ceux de la veille... Et puis cette voix, on l'avait vraiment mise aussi fort ? On raconte d'ailleurs que c'est quand Iommi découvrit le pot aux roses qu'il vira sur-le-champ Ronnie, qui lorgnant déjà sur un disque solo favorisé par le marche-pied Sab' ne se fit pas trop prier... En peu de temps, Dio dénicha un petit prodige de la six-cordes, Vivian Campbell, débaucha au passage le frère Appice, et enregistra un classique du heavy-metal eighties, Holy Diver... La suite de la carrière de Dio est moins intéressante - pour tout vous dire, on s'en fout gentiment - mais entre Heaven And Hell, Holy Diver et le Blizzard Of Oz d'Ozzy Osbourne (et son prodige vanhaleno-blackmorien Randy Rhoads), reconnaissons que les effets collatéraux des guerres du Sab' furent plutôt réjouissants pour les fans pas trop intégristes...

Mais on papote. Gillan et le Sab', donc... Dio parti, on va rechercher ce bon vieux Bill Ward aux fûts, on auditionne des quasi-inconnus - Nicky Moore de Samson (oui, le groupe de Bruce Dickinson), John Sloman de Lone Star et Uriah Heep et même Michael Bolton (oui, lui) - et puis aussi, it's a small word, David Coverdale et Cozy Powell qui partent vite ressouffler sur les braises encore chaudes de Whitesnake...

Puis vint Gillan : la gorge déchiquetée, terminant la tournée de son Gillan Band à genoux, Ian laissa plus ou moins son groupe péricliter, sans trop s'investir dans un sens ou dans l'autre et en surveillant distraitement les velléités de reformation de son vieux Deep Purple, puis reçut un appel téléphonique de Iommi qui tombait à point nommé... La suite ? Une rencontre dans un pub entre Reading et Birminghman - le "Bear" à Woodstock - qui d'ailleurs ne faillit jamais avoir eu lieu puisque Gillan se fit emplafonner en bagnole sur le chemin, une soirée arrosée entre lads jusqu'à potron-minet, et le "Child In Time" qui se réveille le lendemain, casquette plombée et manager au bout du fil furieux de découvrir via la presse que son poulain avait intégré le Sab'...

Bon, on l'a vu et on s'en doute pour peu qu'on connaisse un peu les deux groupes, ici, on n'est plus dans le remariage mais dans l'adultère contre-nature à relents hérétiques... Gillan, chanteur baba à la voix haut perchée, stentor de Deep Purple, est branché filles, bagnoles, et bières et arbore un ensemble jean-t-shirt pour toute tenue de scène... Pas vraiment connecté croix renversée et riffs sataniques, le chanteur connaît par ailleurs trop bien les membres du groupe pour oublier que leur noirceur est ouvertement marketée, Hammer-style : il le répète, pour lui, tout ça n'est vraiment pas compliqué et reste du hard... Les fans, eux, en sont pour leurs frais (ils n'ont pas encore entendu Halford !) et comprennent bientôt, comme le rock business également effaré, que le tout tient de l'erreur de casting monumentale, de celle qui fit intégrer Brian Robertson (tout de shorts and ballet shoes vêtu) chez les graisseux en cuir de Motörhead... Comme de bien entendu, la presse tomba à bras raccourcis sur Gillan, ne manquant pas de railler l'incongruité de son look post-hippie-messie-superstar sur scène, sans s'attarder d'ailleurs à reconnaître que s'il avait enfilé une tenue noire et arboré un crucifix tête bêche en pendentif, il aurait été également, et davantage à juste titre, médiatiquement mis à mort...

Non que Gillan ait été au top artistiquement lors de la tournée qui suivit l'album : dans ce qui sonne comme un superbe acte manqué, pour la première fois de sa carrière il ne se souvenait plus des paroles - y compris sur la reprise de son "Smoke On The Water" obligeamment entreprise par un Iommi classe et sereinement confraternel... Et que fait un Gillan qui a un Ian Gillan un blanc ? Il crie bien sûr... Sauf que ces trous de mémoire devenant de plus en plus fréquents, il passa bientôt l'essentiel des concerts à gueuler, ce qui faisait pleurer de rire les autres membres du Sab' - mais pas Iommi qui lui balança un anthologique "Stop the bloody screaming and just learn the fucking words!"...

Ian tenait aussi absolument à jouer de ses congas pour ne pas rester comme une daube sur scène pendant les soli, ce qui hérissa le poil des membres du groupe, d'autant que le chanteur insistait pour les disposer au beau milieu de la dite scène et ne jouait pas dans les temps... Avec l'aide des roadies, les congas furent donc attachés à une corde un soir et quand Gillan entreprit de se lancer dans un accompagnement rythmique de son cru, il nota bien que les congas semblaient curieusement se déplacer vers le backstage mais, au prix de quelques glissés latéraux, continua à jouer jusqu'à ce qu'il comprenne enfin la supercherie - message reçu, il abandonna dès lors toute prétention à taper sur des peaux...

Tout ceci, dans un contexte stonehengien d'une nouvelle passion du claviériste du groupe, Geoff Nicholls, avec laquelle Gillan, pas responsable, fut aussi associé... On a déjà abordé le sujet mais précisons que celui-ci est loin d'être épuisé : on sait peut-être que, pour mettre en scène l'hideuse pochette du disque, le manager du groupe fit débouler sur la scène hardo-archéologique un nain barbu mais sait-on que celui-ci surprit les musiciens du Sab' et s'élança dans le vide, du haut d'un des faux monolithes en carton, en poussant un cri terrifiant (les matelas censés amortir sa chute avaient été oubliés) ?

Bref, Gillan n'était pas le bienvenu et le projet peinait à convaincre la presse - malgré des ventes d'album assez impressionnantes d'ailleurs, ce qui est rarement évoqué... L'affaire gênait tant qu'un bruit circula d'ailleurs un moment, comme une excuse : ce projet n'était pas celui du nouveau Sab' mais celui, autonome, d'un nouveau supergroupe (vieux mythe des sixties relancé quelques années auparavant par les Asia ou morts-nés XYZ), comme le sera d'ailleurs le Seventh Star de Iommi avec Glenn Hughes trois ans plus tard, malgré son étiquetage sabbathien... Une hypothèse fuyante soutenue par Iommi et Butler eux-mêmes qui n'ont toujours pas digéré la confusion commerciale qui entoura ces enregistrements - mais vigoureusement démentie par Gillan qui ne cache pas que, tout à son attente d'une reformation de son vieux Purple, il se laissa tenter par l'aventure Black Sabbath pour précipiter les choses, un peu à la Coverdale-Page...

Ensuite, naturellement, il y a l'album lui-même, ce Born Again de sinistre réputation, ni aussi raté, ni aussi mythique qu'on le dit... Le jeu de Iommi, Butler et Ward y est toujours aussi terrifiant, même dans son mix punky, s'accommode certes difficilement de l'imaginaire adolescent de Gillan - non que le satanisme soit précisément mature, mind you - mais contient ses bons moments d'harmonie collégiale... Gillan, qui y chante comme si sa vie en dépendait, n'en démord pas, lui : l'album est une tuerie... dans son premier mix : "When we finished the album, I stood behind the desk [...] and gave it one final listen and it was fucking great. It wasn't just great, it was monstrous. I remember the smiles in the room. I took a cassette of that mix, which I thought was final. That's what I was told. The next thing I hear is that Geezer is unhappy because he thought the bass wasn't loud enough. So, he took it down to London, remixed the whole thing and from that point on radio refused to play it. It was bloody awful, plain and simple - a total fucking disaster. The band was great, the record was great, but it was issued to the public in a form that was wrong. It was crap and you have to lay the responsibility for that firmly on Geezer's doorstep."... Réécoutez quand même, vous serez surpris(e)...

Les sessions elles-mêmes, sises dans le Manor de Richard Branson (oui, Mr Virgin), Oxford furent elles aussi et comme il se doit gentiment spinaltapesquiennes... La première victime en fut Bill Ward qui, courageusement, reconnut perdre sa longue bataille contre l'alcool (le contact de Gillan, qui s'en fit un grand pote, ne dut pas l'aider), terminant les sessions mais déclinant de partir en, hmm, tournée (Bev Bevan de Electric Light Orchestra le remplaça, agitant le spectre de possibles reprises du groupe synthétique par le Sab' sur scène)... Butler, traditionnel souffre-douleur de Ozzy la décennie d'avant, eut comparativement la vie un peu plus facile mais les conneries allèrent bon train, Gillan s'intégrant sans difficulté dans la gigantesque party sabbathienne...

Réduits à eux-mêmes dans la grande demeure, les Anglais firent bien sûr un boucan de tous les, euh, diables, s'attirèrent illico l'ire de la population locale à grands coups de riffs mach-2 nocturnes de Iommi, renforcés des hurlements à la mort du chien du manoir qu'ils empêchaient de pisser à dessein - tant et si bien que débarqua bientôt, non la police, mais le clergé local qui se fit rembarrer et se vengea en faisant sonner allègrement ses cloches au petit matin... Gillan, qui n'aime rien tant, on le sait, que restituer les improbables scènes auxquelles il assiste (et qu'il provoque plus souvent qu'à son tour) en fit la matière du titre "Disturbing The Priest"... Mais c'est dans le titre "Trashed" qu'on trouvera une des Épisodes les plus hallucinants de ces sessions : un jour que, complètement bourré, Gillan n'arrivait pas à tromper son ennui, il s'embarqua sur la piste de kart de Branson, au volant de la voiture du pauvre Bill d'ailleurs, heurta un tas de pneus, partit en vrille et, quelques tonneaux plus tard, finit à quelques centimètres de la piscine et d'un canal tout proche, particulièrement dégueulasse (où Gillan avait d'ailleurs mouillé son propre bateau, on y reviendra)...

Il en rit encore mais si le titre est bravache et tongue-in-cheek à l'anglaise ("I thank you Mr. Miracle, I won't get trashed again"), Gillan reconnaît quand même s'être fait la frousse de sa vie : vu son état d'ébriété avancé, harnaché comme il l'était au surplus, une plongée dans la piscine ou, pire encore, dans les eaux boueuses du canal, lui aurait valu un destin à la Brian Jones, la patine mécanique en plus... D'autant que le grand Ian s'est bien garder de consigner toute l'histoire dans ses paroles : sorti groggy mais indemne de l'incident, il décida d'emprunter une échelle jusqu'à la fenêtre de la chambre de Iommi pour foutre sa chambre en vrac... Passant à travers la dite fenêtre, il s'éclata le crâne contre le radiateur de la pièce et sorti hagard, la tête en sang, heureux probablement...

Bill, qui n'avait pas vraiment apprécié que son pote Ian lui déglingue sa bagnole, eut sa vengeance puisqu'il coula tout simplement le bateau de ce dernier et fit aussi exploser la tente dans laquelle le chanteur dormait, à la bab', chaque nuit... c'est-à-dire toutes les nuits où il ne rentrait pas furtivement pioncer en loucedé au chaud dans le manoir, comme s'en aperçurent, rigolards, Iommi et Butler...

Pas mal l'ambiance, non ? Le Spinal Tap Show ne s'arrête d'ailleurs pas là : explosion d'une bombe jetée dans le lac tout proche au passage des exé de la maison de disque venus écouter les sessions et qui repartirent livides ; tentative de pêche au javelot des poissons conséquemment morts (comme après certain concert Ummagummaien de Pink Floyd, tiens) qui flottaient à la surface - aucune prise mais le niveau du lac, qu'on découvre artificiel, qui baisse, sa bonde percée...

En bref, une année bien remplie pour ce new Sab' - le mot de la fin à Gillan, bien sûr, qui veut être sûr d'être précis sur ce satané disque et sa pochette : "I can remember looking at this thing. A bright red baby with fangs, two horns and long fingernails and just thinking to myself that this about summed the whole thing up. It was just so Black Sabbath. I would have been happier if Don had put a lump of cheese with two horns on it for the cover, because at least they would have been honest. It was just so un-classy. In a way, it didn't matter what the songs were like, how good I was onstage or anything because it all just boiled down to that baby. That's all people would remember. Everywhere I went promoting that record, all I saw was that fucking baby. Strangely though, over the years that cover has become almost as famous as some of the well known Sabbath album covers because it was just so awfully bad. What was absolute rubbish twenty years ago is now an ironic classic. I've come to accept the baby in my life now. It's been a struggle. [And] the truth is, I had a big smile on my face for the greater portion of the time I was singing for Black Sabbath."...