The Who & Friends: Maximum R'N'B

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Londres, les sixties, allez 1965, tiens... où palper la tendance du rock, se demande l'honnête Londonien ? Dans le triangle central Baker Street-Waterloo-King's Cross pour commencer, avec le Flamingo Club (Georgie Fame et Chris Farlowe en regular guests), le Cavern Club à Leicester Square, le 100 Club (encore jazzy, dix ans encore avant la déferlante punk), le Plug Hole et le Studio '51, le Last Chance Saloon aussi et puis le New Scene Club (ou frayèrent de bien jeunots Stones et Animals)... Si on s'éloigne du centre vers le sud-est, de l'autre côté de la Tamise, on peut tomber sur le Bromel Club (plus fameux déjà, avec Graham Bond, Georgie Fame et Alex Harvey), le El Partido, le Black Cat, l'Austral, le Bexley Jazz Club et le Glenlyn Ballroom... Isolé au sud-ouest de la Tamise, le Pontiac tape plus fort avec des presque stars comme Donovan, les Byrds, John Mayall, les Hollies, Manfred Mann et les Who... On retrouve d'ailleurs plus souvent le gang de Shepherd's Bush de l'autre côté du fleuve, au Gold Hawk, avec les Yardbirds et les Animals... Et puis, ça et là, au nord, on aurait tort de pas oser pousser la porte du Klooks Kleek (avec grosso modo la programmation du Bromel et du Pontiac), du Pop Inne, du Club Noreik ou du White Lion où se produisent les obscurs Moody Blues... Tout ça pour dire qu'on va vous parler d'aucun d'entre eux et se lancer dans l'histoire du plus fameux, le Marquee...

L'aventure du Marquee, ça commence le 19 avril 1958, au 165 Oxford Street, dans les sous-sols de l'Academy Cinema, une salle de bal pour big bands et orchestres à mamies qui vivotait depuis le début de la décennie... C'est grâce aux efforts d'un comptable du Merseyside passionné de jazz, Harold Pendleton, que le mythe se met - doucement - en marche... Le gars avait déjà à son crédit la présentation au public anglais, aux côtés du tromboniste jazz Chris Barber, d'un certain Muddy Waters qui, dit-on, fit entendre ces soirs-là pour la première fois une guitare électrique live aux jeunes Britanniques...

On doit aussi à Pendleton le National Jazz Festival, lancé en 1961, qui dépassa bien vite les strictes frontières jazz pour aller braconner du côté du rhythm-and-blues et, bientôt, de ce qui ressemblait furieusement à du rock quand il enfanta le fameux Reading Rock Festival... Formation de comptable oblige - suppose-t-on - Pendleton apportait aussi dans ses bagages une rigueur de management qui sortit le Marquee Club du rouge en quelques mois avec, comme grand perdant, le jâz...

En 1962, sous l'impulsion des incontournables Alexis Korner et son Blues Incorporated et de Cyril Davies (savamment cornaqués par le méconnu Chris Barber, semble-t-il), c'est le rhythm-and-blues américain qui s'invite dans les clubs londoniens, bien chauffés depuis des années par la frénésie skiffle, toute britannique, elle, sans qui le rock anglais n'aurait probablement jamais osé pointer le bout de sa guitare... Et, bien sûr, c'est le Marquee qui s'impose vite comme "le" lieu de ce British Blues Boom en gestation... La suite, légendaire, est connue : s'y précipitent les futurs Rolling Stones, les Yardbirds (avec Sonny Boy Williamson), les Bluesbreakers de John Mayall, les Animals, Long John Baldry, Brian Auger, les Hoochie Coochie Men, Graham Bond... et s'y illustrent des guitaristes comme Brian Jones, Eric Clapton ou Jimmy Page, l'instrument pas encore devenu totémique...

À la mort, précoce, de Cyril Davies en 1964, le Marquee, que ses proprios de l'Academy Cinema envisagent de reconvertir en salle de cinéma, baisse le rideau quelques temps et se cherche une autre adresse : la première d'une des nombreuses fermetures qui, jusqu'à aujourd'hui, jalonnent son histoire troublée... Le 13 mars 1964 (un vendredi, paraît-il, on vous laisse chercher), le Marquee renaît... ailleurs, c'est-à-dire à son adresse la plus mythique, en plein Soho : le 90 Wardour Street... Pendleton fait sauter les cloisons - ce qui, sans trop de surprise, agrandit la pièce - l'insonorise - ce qui, tout aussi logiquement, la rétrécit - et prend soin de recréer toute la décoration originale à laquelle les habitué(e)s étaient attaché(e)s... Prévu pour accueillir jusqu'à 700 personnes, le Marquee est rapidement victime de son succès et tape plutôt dans le millier de spectateurs, comme la nuit où les Yardbirds enregistrèrent le fameux Five Live Yardbirds avec qui-vous-savez à la six-cordes véloce... En forme, Pendleton a aussi le réflexe de lancer le Marquee Studio, pas des plus connus, mais où enregistrèrent quand même au fil des années les Moody Blues, Elton John, le Clash, Vangelis (ben oui), Marillion...

Sensiblement, la guitare électrique sacrée par les exploits de Clapton et ses potes, la scène se durcit, devient rock, fait des incursions pop et se mange à peu près tous les courants du moment, psychédélisme et proto-hard compris : David Bowie, le Steve Winwood du Spencer Davis Group, Cream et les encore méconnus New Yardbirds y sont révélés, les Who consacrés, et de Pink Floyd aux Small Faces, en passant par Free, Yes, les Nice, Jimi Hendrix, Taste, Family, Slade ou encore Soft Machine, Jethro Tull, Genesis, Van Der Graaf Generator, Procol Harum, on ne compte plus les formations britanniques historiques qui firent un détour par le club de Soho... Le Marquee devint irréversiblement culte, on l'aura compris, et jusqu'à ses graffiti, comme le logo de Yes, griffonné sur un de ses murs par Peter Banks lui-même, ou la fameuse et vengeresse (?) inscription "Pete Towsend's nose is a Rickenbaker on legs"...

Associé aux sixties, le Marquee reste toujours aussi porteur de mythes tout au long des seventies et même jusqu'au début des années 1980, accompagnant les éclosions du punk, du hard boogie (si, si), du nouveau Heavy Metal British, de la new wave et même du revival prog : les Sex Pistols, Police, The Cure, Joy Division, Siouxsie and the Banshees, les Jam, les Stranglers, les Damned, Generation X, Adam and the Ants, U2, Ultravox, les Pretenders et (oui) Duran Duran ou (aïe) Erasure, tous foulèrent la scène du club londonien... Un Marquee par ailleurs bien métallique accueillit les grattes volubiles (et souvent croisées) de Wishbone Ash, Deep Purple, Uriah Heep, Thin Lizzy, AC/DC mais aussi, plus lourd, Judas Priest, Iron Maiden, Mötorhead, Def Leppard et même les pionniers Diamond Head ! Un Marquee, enfin, probablement plus "libéré" puisqu'il n'était autorisé à servir que du thé et du café jusqu'en 1970, année où il put enfin se doter d'un bar, puis, bientôt, deux...

Son talon d'Achille, qui en fit le charme jusqu'au bout, était précisément qu'il restait un club et que, même en poussant les murs, il ne pouvait rivaliser avec les salles gigantesques du Hammersmith Odeon ou du Rainbow Theatre, dont les surfaces généreuses répondaient mieux aux besoins croissants d'un public toujours plus nombreux, sur fond d'économie rock à la croissance exponentielle... Parties arpenter les salles du monde entier, rares furent les formations qui, révélées par le Marquee, prirent le temps de venir lui rendre hommage une fois arrivées au top... On cite Robert Fripp qui revint régulièrement y poser ses valises avec son King Crimson, comme ça, histoire de montrer où peut se loger une certaine classe rock...

À partir du milieu des années 1980, les choses se gâtent et l'histoire du club hoquète : en 1987, la façade, lézardée par les millions de watts accumulés depuis 1958, est détruite... Le 18 juillet 1988, le club ferme après un set de Joe Satriani pour renaître un mois plus tard, à quelques encablures, au 105-107 Charing Cross avec un show de nos chouchous Kiss qui, pour marquer le coup, décidèrent de reverser l'intégralité de leur cachet et de leurs ventes annexes au Marquee (nan, on déconne)... Ensuite, c'est la dégringolade : le club ferme, referme, Dream Theater a quand même le temps d'y enregistrer un album live, il est repris par Dave Stewart (oui, celui d'Eurythmics), se retrouve au 1 Leicester Square puis au 14 Upper St Martin's Lane...

Et le nom au fait ? "Marquee", faut-il le préciser, veut dire "chapiteau" en français, un nom pas si curieux que ça puisqu'il s'inspire du décor du club, dû à un certain Angus McBean - qui, incidemment, fit la fameuse photo des Beatles au balcon d'EMI, mais si, vous savez -, et qui recréait l'ambiance d'un cirque, grosses bandes rouge et blanche caractéristiques incluses... En 1971, cette déco un peu pompier, héritée de ses premières années de thé dansant, se fit embarrassante, et on se rabattit sur quelque chose de moins kitsch, sans se débarrasser tout à fait de cette thématique circassienne... Quand Bowie, en octobre 1973, y enregistra son "1980 Floor Show" pour la télé, il fit tout repeindre sans prévenir le manager du Marquee qui faillit en faire une attaque... Those were the days indeed...